Quelle que soit notre opinion sur la réforme du mode de scrutin, il est révélateur et troublant que le risque d’affaiblir le pouvoir québécois au sein du Canada, de même que celui de diminuer le poids politique de la majorité francophone au Québec, ne commence qu’à être abordé dans cette affaire.

Il est pourtant minuit moins cinq, alors que le gouvernement Legault s’apprête à déposer dans ce dossier un projet de loi ayant fait l’objet d’une entente entre trois partis, dont la CAQ au pouvoir. Les militants de la proportionnelle n’arrêtent pas, quant à eux, de marteler que le débat est clos, le reste n’étant qu’affaire de pédagogie auprès des citoyens.

Noble proportionnelle c. députés mesquins

Encore maintenant, la plupart des militants, politiciens et commentateurs favorables à la proportionnelle passent sous silence l’argument du pouvoir québécois ; ils apparaissent viscéralement incapables de reconnaître des motivations autres qu’égoïstes, partisanes ou électorales aux opposants à une proportionnelle qui serait, elle, par définition dans l’intérêt du Québec.

Encore la semaine dernière, la ministre de la Justice, Sonia LeBel, que sa responsabilité institutionnelle à l’égard des relations avec les autres gouvernements au Canada devrait rendre pourtant sensible à l’importance du pouvoir québécois, faisait comme si les seules objections à la proportionnelle dignes d’être considérées provenaient des députés en région.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

« Le pouvoir québécois, ce sont les assises de ce que nous sommes », illustre l’auteur.

La ministre ne semble pas réaliser que plus elle tarde à reconnaître la réalité de l’inquiétude qui monte au sujet du pouvoir québécois, plus elle risque de s’enfermer dans un personnage de militante pour la proportionnelle, en contraste avec un bureau du premier ministre heureusement plus réservé.

Tout le monde admet que l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel rendra systématique – pour le seul Québec au sein du Canada – la formation de gouvernements de coalition avec les négociations, les compromis et les délais que cela impliquera.

Il en résultera forcément des gouvernements moins forts que les gouvernements majoritaires auxquels les Québécois sont habitués.

Il n’y a pas de miracle : mettre davantage l’accent sur les impératifs de la représentation politique des opinions de tout un chacun à l’Assemblée nationale – le pouvoir législatif – se fera au détriment de la gouvernance – le pouvoir exécutif.

Il s’agit d’un élément important à considérer pour toute démocratie qui veut rester fonctionnelle dans un univers où l’on ne fait de cadeau à personne, cela valant tout particulièrement pour le seul gouvernement contrôlé par une majorité francophone sur le continent.

Le refus de prendre en compte l’argument du pouvoir québécois au sein du Canada, ne serait-ce que pour appliquer le principe de précaution dans cette affaire, en dit long sur la déconnexion d’une partie de nos élites intellectuelles et politiques par rapport aux rapports de force qui sont au cœur de la politique

Revenir au pouvoir québécois

Il est par ailleurs proprement incroyable que des gens qui se disent souverainistes – pas tous bien sûr, pas tous heureusement – ne veuillent pas parler de l’autre danger dans ce dossier : la diminution du poids politique d’une majorité francophone vulnérable à la suite des deux tentatives ratées pour accéder à l’indépendance et favorisée de facto par le mode de scrutin actuel.

Après la débâcle du PQ lors des élections du 1er octobre 2018, l’appui à la proportionnelle semble un signe de désespoir tranquille chez une formation politique n’ayant plus grand-chose à perdre. Quitte à faire passer le parti avant la patrie, contrairement à ce que pensait le premier ministre Bernard Landry.

Rappelons par ailleurs que l’ex-chef péquiste André Boisclair a affirmé récemment que tous les chefs du PQ l’ayant précédé et qu’il a côtoyés étaient contre la proportionnelle.

Le pouvoir québécois est quelque chose de plus fondamental que la souveraineté ou le fédéralisme en ce qu’il constitue un prérequis incontournable à l’un ou à l’autre.

Si l’on compare le Québec à une maison, c’est le sous-sol, le soubassement, à partir duquel on pourra bâtir ou un non un étage « indépendance », un étage « société distincte québécoise » ou un étage « fédéralisme qui fonctionne ».

Le pouvoir québécois, ce sont les assises de ce que nous sommes.

Le débat sur la réforme du mode de scrutin montre que la guerre politique entre souverainistes et fédéralistes qui a affligé notre société depuis la fin des années 60 jusqu’à récemment l’a substantiellement affaiblie.

C’est que, dans le feu du combat, obsédés par l’idéal souverainiste ou fédéraliste, les militants des deux camps ont oublié l’essentiel, ils ont oublié le pouvoir québécois.

Il est temps d’y revenir, la première étape étant de mettre de côté une proportionnelle qui ne saurait que mener à notre affaiblissement collectif.

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