Ma conjointe siège à un conseil municipal et plusieurs de mes amis ont occupé des postes de ministre dans des gouvernements provinciaux.

Si j’en juge par les discussions avec eux au fil des ans, mon passage à Ottawa se compare à un séjour dans une colonie de vacances. On interpelle souvent la première dans la rue pour se plaindre du moindre mouvement d’un camion de construction avant les heures permises ou de l’état d’un jardin public, alors que les autres me racontent leurs expériences avec la « vraie » politique (l’éducation, la santé et la culture à saveur provinciale).

Je conviens que les sujets passionnants au fédéral peuvent paraître, à première vue, moins nombreux.

Aux élections de 2015, on aurait pu conclure que le dossier le plus important à Montréal touchait le péage sur le nouveau pont Champlain. Le pont a été construit, il est impressionnant et, malgré une tendance lourde à l’échelle planétaire à l’effet contraire, il offre des passages gratuits.

Pourtant, il s’en passe des choses à Ottawa – son rayon d’action est considérable. Des pêcheries jusqu’aux autochtones en passant par le droit criminel et l’assurance-emploi, vos impôts ne manquent pas de tiroirs-caisses au fédéral. Sans oublier le rôle-clé que joue Ottawa dans les rapports géopolitiques qu’entretient le Canada à l’étranger.

Contrairement aux élections provinciales d’octobre dernier, le désir de changement ne se manifeste pas avec autant de conviction au Québec. 

L’an dernier, très peu d’électeurs québécois pouvaient affirmer ne pas avoir été touchés par les coupes importantes et insensibles du gouvernement Couillard entre 2014 et 2018. À l’école de nos enfants ou à l’hôpital de nos parents, nous assistions au même film : moins de ressources et moins de services. Et en bruit de fond désagréable, des ministres qui faisaient les gorges chaudes des surplus budgétaires.

Avec les libéraux fédéraux, tout le contraire s’est produit : les dépenses ont explosé tout comme les déficits budgétaires. Le gouvernement Trudeau a fait l’impossible pour épargner la classe moyenne et ce sont surtout les nantis vers qui le gouvernement Trudeau a dirigé les factures.

L’environnement et l’économie risquent de prendre beaucoup de place durant cette campagne. Le premier interpelle un nombre grandissant de Canadiens de tous les horizons politiques, alors que le deuxième, malgré un taux d’emploi sans précédent au pays, sème beaucoup d’inquiétude à la lumière notamment de l’approche des États-Unis dans ses rapports commerciaux.

Mais au-delà de ces thèmes, il existe aussi celui de la gouvernance, à ne pas négliger.

La ministre Freeland

Le cas de Jody Wilson-Raybould ayant été suffisamment étoffé, celui de Chrystia Freeland mérite attention. Bien peu de Canadiens connaissaient la ministre des Affaires étrangères avant qu’elle se présente pour les libéraux en 2015. Mme Freeland a connu une carrière remarquable dans le milieu des médias avant son saut en politique. Elle a travaillé auprès de publications prestigieuses comme le Financial Times, le Washington Post et le Globe and Mail. Quatre ans plus tard, l’influence de cette ministre omnipotente n’a d’égal que celle de son patron.

On ferait erreur de sous-estimer l’impact de Mme Freeland au Québec. Elle a mené les négociations parfois cahoteuses pour l’accord renouvelé de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique. Faut-il rappeler que l’emploi d’un grand nombre de Québécois travaillant dans le secteur privé dépend largement de l’existence d’un tel accord qui, à ce jour, n’est toujours pas avalisé formellement ? Elle a de plus causé des torts irréparables à des exportateurs en s’attaquant à certains pays par le biais d’un canal plutôt surprenant pour une diplomate : les réseaux sociaux. Elle a présidé sur la diplomatie canadienne comme peu l’ont fait auparavant – sans vraiment consulter et avec une propension irrépressible pour les effets de toge.

À la fois crainte par ses collègues ministres et adulée par les militants libéraux au pays, Mme Freeland est un électron libre à Ottawa qui risque d’influencer notre quotidien encore davantage si les libéraux sont réélus.

On reprochait à Stephen Harper de contrôler maladivement non seulement son univers, mais aussi celui de tous ses ministres. Ses empreintes se retrouvaient partout – bien brave le ministre qui souhaitait improviser ! Mais malgré tous ses défauts – et il en avait plusieurs –, Harper ne fuyait jamais ses responsabilités. L’imputabilité primait avant tout.

Justin Trudeau a laissé une très grande marge de manœuvre à ses ministres.

Le dossier de SNC-Lavalin a toutefois parfaitement illustré les défis qui guettent un patron qui ne maîtrise pas toujours ses dossiers ni (de toute évidence) ses troupes. Je souhaite longue la liste des sujets qui interpelleront les électeurs – je suis d’avis que le style de gestion d’un premier ministre doit en faire partie.

* Michael M. Fortier est banquier et un ancien ministre dans le gouvernement fédéral.

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