Alors, Maxime Bernier, on fait quoi avec lui ? On le dénonce ou on l’ignore ?

À mon avis, ça dépend. Quoi qu’il en soit, il me semble important de nous intéresser non seulement à lui, mais aussi aux gens qui l’écoutent.

Comme plusieurs commentateurs l’ont souligné, M. Bernier fait exprès de faire parler de lui en multipliant les gestes et déclarations absurdes. Il s’offre de cette manière de la publicité gratuite. De la sacrée belle pub pour de la bêtise, alors que le parti qu’il dirige ne récolte aujourd’hui que 3 % des intentions de vote au pays.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Rassemblement du Parti populaire du Canada à Gatineau, en août

En condamnant ses faits et gestes, on lui accorde une attention non méritée. En les ignorant, on laisse la place à la bassesse. Que faire ?

« Dites NON à l’Immigration de Masse », a dit le Parti populaire du Canada sur un grand panneau publicitaire. Je comprends l’élan de désapprobation de ce message. Et je nous crois capables d’y répondre en parlant du bien-fondé de l’immigration et de ses balises. C’est aussi de bonne guerre de dénoncer le populisme crasse que porte cette publicité.

Cela dit, n’importe quel citoyen canadien, même les politiciens, devrait avoir le droit de dire « Dites NON à l’Immigration de Masse ». Ce propos en lui-même n’incite pas à la haine au sens du Code criminel.

Nous devrions donc pouvoir débattre des balises de l’immigration, même lorsque les propos nous offusquent.

PHOTO CAROLINE GRÉGOIRE, ARCHIVES LE SOLEIL

Panneau publicitaire du Parti populaire du Canada

Lorsque dans notre élan d’indignation, on exige la disparition de ce message, on jette le bébé avec l’eau du bain. On impose des limites trop grandes à la liberté d’expression. Cela n’est pas souhaitable dans une société où le dialogue devrait être favorisé.

Il y a simplement une différence entre réclamer l’interdiction d’un propos et le critiquer. La critique d’un politicien, elle, est essentielle dans une société libre et démocratique.

Nous avons pu le constater cette semaine lorsque M. Bernier s’est livré à des attaques personnelles contre l’environnementaliste Greta Thunberg. La pluie de dénonciations qui s’ensuivit était pleinement justifiée. D’autant plus qu’elle a forcé M. Bernier à se rétracter. Un signe que ça peut fonctionner, exiger un minimum de décence de nos politiciens.

Je n’arriverais pas à comprendre qu’on se taise devant les attaques publiques envers une adolescente.

Nous devons aller plus loin, cependant, pour mieux saisir les agissements de Maxime Bernier. Car il n’est que le symptôme de phénomènes qu’on observe au Canada et ailleurs dans le monde. Phénomènes qui se manifestent notamment à travers l’élection d’individus comme Donald Trump ou Boris Johnson.

Quels phénomènes, au juste ? J’en nommerais un ici, pour les fins du propos : la participation politique des gens fâchés.

D’abord, Maxime Bernier lui-même. Sur la scène politique canadienne, il a historiquement été l’un des porte-étendard du mouvement libertarien. Selon la philosophie libertarienne, la liberté individuelle est la valeur devant sous-tendre les rapports sociaux, économiques et politiques. Les libertariens croient au libre marché, en l’intervention limitée de l’État au sein d’une société. En principe, les libertariens conçoivent donc mal qu’un gouvernement intervienne pour limiter l’immigration ou le droit à l’avortement.

Mais voilà que déçu de sa défaite dans la course à la direction du Parti conservateur, Maxime Bernier est devenu « fâché ». C’est le mot utilisé par un stratège conservateur que j’ai consulté sur la question. Il a aussi affirmé que « Maxime Bernier a fait le calcul qu’au Canada, il y a plus de gens fâchés que de libertariens ».

Le politicien fâché contre son parti veut séduire les gens fâchés contre les institutions en place.

Voilà l’essence de sa stratégie politique. Multiplier les prises de position totalement loufoques, qui néanmoins interpellent des humains fâchés.

Mardi, j’ai entendu à l’angle de rues Sainte-Catherine et De Bleury une bribe de conversation entre deux travailleurs de la construction. « C’est les ostie de socialistes écolos qui vont décider », a dit l’un d’eux. J’ignore dans quel contexte s’inscrivait cette conversation, mais j’ai reconnu les propos d’un homme fâché.

Ce texte n’est pas une dissertation de ce que représente la colère sur le plan psychologique et émotionnel. Il vise simplement à rappeler qu’il existe des gens en cr*ss contre un ensemble de systèmes qui composent nos sociétés. Nos gouvernements, nos élus, nos élites économiques, nos médias, notamment.

Ces gens se retrouvent dans le discours des politiciens qui interpellent leurs plus bas instincts. Ce qui est dangereux.

En réponse, nous ne pouvons nous limiter à condamner ces politiciens. En ne nous concentrant que sur les âneries de Maxime Bernier, on oublie les autres gens qui comptent. Les gens fâchés. Nous devons nous informer de ce qui contribue à leur colère. Qui sont-ils ? Nous devons aussi tendre l’oreille et ouvrir notre cœur à ces gens. Sans cette ouverture, dans le dialogue ou dans le débat, nous fragilisons le sens de la communauté de notre société.

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