Il est 4 heures du matin. J’ai la bonne idée d’ouvrir l’ordinateur et de taper « Femmes autochtones disparues ou assassinées » sur mon moteur de recherche.

Soudain, elles sont là. Des dizaines de photos de femmes. Je les regarde. Je m’interroge sur ce qu’elles ont en commun outre le fait d’être autochtones.

Leurs histoires sont différentes et semblables à la fois. Certaines sont encore des enfants, d’autres, des grands-mères. Quelques-unes étaient étudiantes, d’autres, travailleuses du sexe. Certaines ont des problèmes de consommation, plusieurs ne boivent ni ne consomment. Elles vivaient autant en ville que dans leurs communautés. Plusieurs avaient des enfants.

Et là, je le vois ce trait commun. Leurs regards.

Plusieurs femmes affichent un sourire sur leurs photos. Et quand les femmes autochtones sourient, leurs yeux s’illuminent et rapetissent à la fois, les faisant passer de la forme amande à une presque ligne un peu courbée, comme si leurs joues prenaient toute la place. Je m’y reconnais un peu.

Et là, je lis.

Cheyenne Marie Fox, 20 ans, mère d’un garçon de 5 ans, membre de la Première Nation de Manitoulin Island en Ontario, morte le 25 avril 2013. Son corps, tombé du 24e étage d’un édifice, a été retrouvé sur le sol de Toronto.

La police de Toronto déterminera qu’il n’y a aucune preuve que la mort de Mme Fox est de nature criminelle.

Pourtant, un appel anonyme au 911 aurait été fait le soir de la mort de la victime pour signaler une altercation entre Cheyenne et un homme, dans un appartement connu pour servir à la prostitution.

Tanya Marie Hill, des Six Nations en Ontario, trouvée morte dans la chambre de son appartement d’Hamilton le 5 mars 2011, un chandail bleu lui recouvrant la tête, des éclaboussures de sang tapissant les murs et le plancher.

Le rapport du coroner fait état d’un taux d’alcool dans le sang pouvant entraîner la mort. On y mentionne aussi que le petit ami de Tanya aurait approché la police d’Hamilton dans le but d’avouer son meurtre.

Pourtant, aucune enquête criminelle n’est menée dans ce dossier et aucune réponse n’a été donnée quant à la prétendue confession du partenaire de Mme Hill.

La mère de Tanya, appelée sur les lieux où le corps de Tanya a été trouvé au moment de sa découverte, mentionnera qu’aucun policier ne portait des gants et qu’ils ne semblaient pas traiter le cas comme si c’était une scène de meurtre.

Verna Shabaquay Simard, 50 ans, morte des suites d’une chute du 6e étage de l’hôtel Regent de Vancouver.

Les policiers ont conclu qu’il n’y avait pas eu de gestes criminels.

Verna vivait cependant avec un homme ayant fait l’objet de nombreuses plaintes pour violence. Coïncidence, cet homme était dans la chambre lorsque Verna en est tombée.

Sindy Ruperthouse, Algonquine de Pikogan, vue pour la dernière fois le 23 avril 2014 à l’hôpital de Val-d’Or où elle avait été traitée pour des côtes cassées alors qu’elle aurait été battue par son compagnon selon sa mère. Depuis, elle s’est évaporée. Lévis Landry, le conjoint de Mme Ruperthouse au moment des faits, a plaidé coupable dans une autre affaire pour la mort de Marie-Ève Charron, survenue à Val-d’Or en mai 2016.

Les parents affirment que la Sûreté du Québec a pris l’enquête sur la disparition de leur fille à la légère et qu’ils ont été laissés sans nouvelles.

Maisy Odjick et Shannon Alexander, de Kitigan Zibi au Québec, 16 et 17 ans, disparues depuis le 6 septembre 2008 alors qu’elles se rendaient à une fête à leur école secondaire. Les autorités locales concluront d’abord à une fugue même si tous leurs effets personnels étaient restés chez Shannon.

En 2014, un rapport de la Gendarmerie royale du Canada stipule que 1186 cas de femmes autochtones disparues ou assassinées de partout au Canada auraient été soulevés en 30 ans. Les groupes de femmes autochtones parlent plutôt de plus de 4000 cas, documents à l’appui. Alors qu’elles ne représentent que 4 % de la population de femmes canadiennes, 16 % des homicides de femmes au pays sont commis contre des femmes autochtones.

Le silence

L’auteure crie Maria Campbell déclarait : « Le patriarcat et la misogynie sont tellement profondément enracinés dans notre société qu’ils sont devenus des attitudes normales ; c’est notre silence qui les a rendues telles. »

Ce silence.

Selon l’Institut national de santé publique du Québec, 57 % des femmes adultes du Nunavik, au Québec, auraient été victimes d’un acte de violence physique au cours de leur vie ; 44 % des femmes autochtones signalaient à Statistique Canada en 2004 avoir déjà craint pour leur vie.

Je regarde autour de moi. J’entends le récit de l’une ou l’autre, des pleurs, des ecchymoses, des menaces, une rare plainte à la police. Je lis les silences. Je me souviens de ma propre histoire.

Cette normalité.

Cette banalité.

Le rapport de l’Enquête nationale portant sur les femmes et les filles assassinées ou disparues est publié dans son entièreté aujourd’hui. Le mot génocide y revient 122 fois. Génocide « tout court ».

Selon l’ONU, un génocide se veut un acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Cet acte peut être un meurtre ou une atteinte grave à l’intégrité mentale ou une mesure anti-natalité, par exemple.

Nous y sommes. Privation de nourriture. Loi sur les Indiens. Pensionnats autochtones. Rafle des années 60. Stérilisation forcée. Sous-financement. J’en passe.

Le colonialisme a été dévastateur pour les Autochtones, et doublement pour les femmes, victimes non seulement de racisme, mais également de sexisme.

Le pouvoir des femmes autochtones, celui qu’elles avaient avant l’arrivée des Européens, a été diminué, puis détruit. Les femmes autochtones ont vécu un ostracisme qu’elles portent encore aujourd’hui, agencé à la couleur de leur peau.

Réclamer notre pouvoir et notre place, un titre fort pour un rapport tout aussi fort.

Plus jamais de silence, de tabous, de honte.

Pour que les yeux des femmes et des filles autochtones brillent à jamais, surtout tout petits.

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