Un an. C'est le délai que la Cour suprême a accordé au gouvernement fédéral pour remplacer les dispositions du Code criminel encadrant la prostitution, qui ont été invalidées en décembre dernier au motif qu'elles violaient le droit à la sécurité des prostituées garanti par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans l'arrêt Bedford, la Cour a en effet conclu que ces dispositions n'avaient jamais eu pour but d'encadrer et de protéger les prostituées, mais plutôt de cacher la prostitution et de rendre son exercice plus périlleux.

Offusqué de s'être fait taper sur les doigts par la Cour suprême, le gouvernement fédéral, son ministre de la Justice Peter MacKay en tête, s'est donc dépêché de déposer le projet de loi C-36 le 4 juin dernier. L'objectif de ce projet de loi, inspiré des modèles français et suédois, est de rendre la prostitution illégale en criminalisant les clients. Malheureusement, le gouvernement a initié cette démarche législative précipitamment, sans réflexion profonde et avec la ferme intention d'imposer sa ligne de conduite coûte que coûte.

En juin, on apprenait que les conservateurs n'avaient alloué que six heures aux députés pour débattre en deuxième lecture du principe du projet de loi. De plus, le gouvernement a choisi, de façon bien calculée, le coeur de l'été, alors que le radar médiatique est au neutre et que tout tourne au ralenti, pour tenir les audiences du Comité permanent de la justice de la Chambre des communes chargé d'étudier le projet de loi. Ces séances ont par ailleurs eu lieu après une consultation d'un mois effectuée par le ministère de la Justice et à laquelle 31 000 personnes et groupes ont participé, sans qu'il ne soit toutefois interdit pour les participants de répondre plus d'une fois aux questions. 

Parmi les répondants, seuls 131 provenaient de fournisseurs de services sexuels moyennant rétribution et d'organisations les représentant. D'ailleurs, très peu de représentants d'organismes de terrain ont été invités aux audiences du Comité. Selon Stella, un organisme montréalais, les membres de la communauté évangélique chrétienne étaient beaucoup plus nombreux que les défenseurs des droits des travailleuses du sexe.

J'ai toujours préféré le concret à l'abstrait, les témoignages des enseignants aux discours vaseux des commissions scolaires et le récit des infirmières aux propos vaporeux des fonctionnaires. Ainsi, lorsque les intervenants de terrain clament haut et fort que C-36 reléguera les prostituées les plus vulnérables dans une plus grande clandestinité en ne leur offrant qu'une immunité sélective, je tends l'oreille.

Et je deviens carrément sceptique lorsque j'apprends que le gouvernement a écarté une étude publiée dans le British Medical Journal Open portant sur une expérience menée en Colombie-Britannique. Cette étude révèle que l'approche choisie par le gouvernement est dangereuse pour la santé et la sécurité des prostituées, qui ont tendance à protéger leur gagne-pain et leurs clients en se méfiant de la police et en déplaçant leurs activités dans des endroits isolés.

De sa lointaine planète, Peter MacKay se croit investi de la mission d'abolir le plus vieux métier du monde, le seul, probablement, à avoir traversé le temps et les époques, tout en défiant, d'un air frondeur, une éventuelle contestation judiciaire. Évidemment, le gouvernement fédéral, connu pour avoir imposé plus de 70 baillons aux Communes en trois ans, ne reculera pas, persistera et signera.

Il serait néanmoins judicieux de lui rappeler que la société canadienne ne sera guère plus avancée si cette nouvelle loi ne passe pas le test de l'odeur et aboutit à la Cour suprême à peine sortie de chez l'imprimeur.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion