Tout avait pourtant bien commencé. Du moins, est-ce l'histoire que l'on a colportée pendant longtemps afin de faire passer le bombardement de la Libye par l'OTAN et le meurtre du colonel Khadafi comme une libération du peuple libyen. Les Libyens sont libres, c'est vrai, mais dans quel état?

Au début de 2011, la Libye est touchée par le souffle du printemps arabe, qui a déjà renversé les dictatures en Tunisie et en Égypte. En Libye, un soulèvement militaire se transforme en insurrection d'une partie de la population, principalement celle vivant en Cyrénaïque dans l'est du pays. Khadafi promet d'«exterminer» les rebelles. Il n'en faut pas plus pour que l'OTAN, menée par la France et la Grande-Bretagne, intervienne et aide les rebelles à chasser le dictateur. En quelques semaines, la Libye «découvre la liberté», selon le philosophe français Bernard-Henri Levy, figure de proue de cette révolution.

Cette image d'Épinal n'est que cela, une belle image. À peine Khadafi éliminé, la situation s'est rapidement dégradée. Et depuis trois ans, alors que la Tunisie apprend le jeu démocratique et que le pouvoir est confisqué en Égypte par une nouvelle dictature appuyée par les Occidentaux, la Libye connaît des désordres indescriptibles. Un événement parmi d'autres illustre le quotidien de la vie dans ce pays.

Le 25 juin, Salwa Bugaighis, avocate et figure courageuse de la révolution libyenne, est abattue chez elle. Son mari est enlevé, le gardien de la villa torturé et assassiné. Enfin, le 3 juillet, le juge responsable du dossier est tué. Tout cela est le résultat de milices qui règnent en maître dans le pays et principalement à Benghazi, la grande métropole de la Cyrénaïque, région réfractaire au pouvoir de Kadhafi et maintenant carrément en lutte contre le pouvoir central, si cela veut encore dire quelque chose.

Aux désordres, aux attentats, aux actes terroristes qui rythment la vie quotidienne dans l'ensemble du pays, s'ajoute en effet un vide politique inquiétant. La Libye a bien un gouvernement - enfin ce que l'on peut appeler un gouvernement - , un ensemble hétéroclite d'individus tous plus indépendants les uns des autres et sans cohésion politique. Une journée, l'un d'eux est élu premier ministre, pour être immédiatement destitué par un groupe de mécontents. Cette instabilité fait le jeu des milices et de partis dont certains aimeraient voir éclater la Libye en trois territoires distincts et indépendants, un peu comme ce qui est en train d'arriver en Irak.

Et comme en Irak, le chaos libyen ne se limite pas aux frontières du pays. La chute de Khadafi a provoqué une onde de choc terrible parmi les pays de la région - Mali, Niger, Tchad, Mauritanie - qui se sont vus soudainement submergés par des milices dotées de puissantes armes pillées dans les immenses dépôts constitués par l'ancien dictateur. La crise au Mali, depuis 2012, est un effet direct de la chute du régime libyen et, à la notable exception du philosophe guerrier BHL, tout le monde ou presque en Europe regrette amèrement l'expédition irréfléchie de l'OTAN.

La Libye ne pose pas une menace directe à la sécurité occidentale. Ses armes de destruction massive ont été éliminées. Sa population, minuscule et divisée, a d'autres préoccupations qu'espérer voir son pays redevenir la puissance régionale qu'elle était sous Khadafi. Cela dit, comme l'ont bien enseigné la Somalie, l'Afghanistan et maintenant l'Irak, un territoire dont le gouvernement ne contrôle ni l'espace ni les frontières peut rapidement devenir un refuge pour des groupes criminels ou terroristes aux ambitions régionales et internationales. Si l'on n'y prend garde, la Libye pourrait bientôt rejoindre ce club avec les conséquences que l'on connaît.

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