C'est un rappel à l'ordre important pour le premier ministre Justin Trudeau et sa députation.

Le rappel qu'être élu, former un gouvernement majoritaire et bénéficier d'une lune de miel qui perdure encore, six mois après les élections, ne donnent pas tous les droits pour autant.

Et dans le cas de M. Trudeau, particulièrement, cela ne donne certainement pas le droit d'oublier le rôle supplémentaire qui incombe au premier ministre : celui d'être un leader rassembleur, surtout dans les moments de tension.

Malheureusement, les images qui défilent en boucle depuis mercredi soir, montrant le premier ministre en train de traverser la Chambre des communes d'un pas vif et impatient pour prendre le bras du whip conservateur, Gord Brown, et bousculer au passage - involontairement - la députée Ruth Ellen Brosseau, braquent les projecteurs sur le gouvernement pour de bien mauvaises raisons.

Les échanges vindicatifs qui ont eu lieu ne sont pas dignes du protocole et du respect pourtant de mise dans l'enceinte de la Chambre des communes.

On pourra dire que perdre son sang-froid est humain, mais ce comportement n'est pas acceptable de la part d'un premier ministre. Ce n'était pas son rôle de traverser la Chambre pour forcer la reprise des travaux, un président est justement mandaté pour cela.

M. Trudeau l'a d'ailleurs reconnu prestement. Il a présenté des excuses sincères et senties, qualifiant son geste « d'injustifiable ».

Élus avec une confortable avance, les libéraux bénéficient d'un capital de sympathie important. Mais, nous l'écrivions récemment, agir avec trop d'assurance peut mener au mépris, voire à l'arrogance, surtout devant une opposition désorganisée.

C'est ce qui est arrivé cette semaine. La bousculade de mercredi est le point culminant d'une série d'événements qui ont accentué la tension sur la colline parlementaire.

Dans ce contexte, le gouvernement a failli perdre lundi un vote crucial parce que ses banquettes étaient à moitié vides quand l'opposition l'a pris au dépourvu en réclamant un vote sur le projet de loi C-10 qui allège les obligations d'Air Canada quant à l'entretien de ses appareils.

Par la suite, les libéraux ont voulu resserrer les règles pour renforcer leur pouvoir de limiter les débats. Mercredi soir, les députés devaient ainsi voter sur une motion pour mettre fin aux débats entourant le projet de loi sur l'aide médicale à mourir qu'ils veulent faire adopter avant le 6 juin.

Même quand un parti promet de faire « différemment », il y a un risque de verser dans la trop grande assurance qu'apporte parfois le pouvoir.

Le gouvernement de Justin Trudeau vient de l'apprendre à la dure.

C'est d'autant plus dommage qu'on se retrouve aujourd'hui dans une situation encore pire. Les députés ont dû débattre d'urgence de l'incident, puisqu'il a porté atteinte aux privilèges de députés, si bien que le Parlement manque de temps pour débattre du projet de loi sur l'aide médicale à mourir et risque de rater l'échéance.

Visiblement, le gouvernement Trudeau a appris la leçon ; en plus des excuses, il a retiré hier la motion visant à limiter les débats.