L'islamisme est-il devenu, en Occident, l'idéologie par défaut de la masse des illuminés et des insatisfaits, exactement comme l'a été jadis le marxisme d'Action directe et autres Brigades rouges? Et les directives d'Al-Qaïda encourageant les actions locales, individuelles, modestes, ne sont-elles pas à leurs yeux une véritable invitation?

On ne sait encore à peu près rien des deux présumés terroristes arrêtés par la Gendarmerie royale du Canada, hier. Rien de leur parcours personnel. Rien de leurs liens réels avec Al-Qaïda.

Mais, nonobstant ce fait nouveau, le terroriste-type n'est en général plus le même qu'avant.

Boston: les frères Tsarnaev ont été élevés aux États-Unis et n'ont donc pas baigné dans l'islam radical. Ils sont plutôt allés volontairement vers celui-ci à un moment précis de leur vie. L'aîné, Tamerlan, «sans amis» comme il l'a avoué, s'est apparemment auto-radicalisé au contact virtuel d'une doctrine enseignant la haine de la société qu'il commençait lui-même à haïr.

Les terroristes ratés des dernières années sont de cette eau. Le leader des «18 de Toronto» était enfant lorsqu'il est arrivé au Canada et chômeur lorsqu'il a été arrêté. L'homme aux sous-vêtements explosifs était un fils de banquier vivant à Londres, esseulé et, a-t-il longuement raconté, torturé par ses pulsions sexuelles inassouvies. L'homme à la chaussure explosive était un petit bandit britannique converti à l'islam, décrit par le Time comme un «perdant»...

Il s'agit bien du phénomène du terrorisme homegrown, construit localement, celui que l'Occident craint maintenant le plus.

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Comme l'extrême gauche européenne d'il y a 40 ou 50 ans, l'extrême droite islamiste a ses compagnons de route, recrutés dans les mêmes classes sociales: à l'aise, bourgeoises, instruites sinon intellectuelles, souvent puissantes dans l'industrie des mots.

Ceux-là pratiquent aujourd'hui une forme d'islamophilie qui interdit de parler de violence islamiste sans contrebalancer par la violence occidentale, évidemment plus exécrable. Leur grand Satan est aussi l'Amérique. Plusieurs finissent par verser dans la théorie du complot.

Quelques heures après l'attentat de Boston, la première question posée par la presse au gouverneur du Massachusetts a été: «S'agit-il encore une fois d'un faux attentat (false flag) destiné à permettre à l'État américain de s'attaquer à nos libertés civiles?» Depuis huit jours, un média alternatif très populaire, Infowars.com, bosse à temps plein sur le «complot de Boston». Hier, il y avait embouteillage sur Twitter à l'enseigne de #FreeJahar: le jeune Dzhokhar Tsarnaev est victime d'un complot et il faut le relâcher!

Ce compagnonnage n'est pas inoffensif. La société occidentale tout entière nage dorénavant dans le conspirationnisme. Et dans la haine de soi, le plus inédit et puissant système de pensée jamais adopté par quelque civilisation.