Il faudra se préoccuper davantage du problème de l'itinérance. Les morts violentes de deux sans-abri en quelques mois, à Montréal, ne sont pas les seuls événements à l'indiquer.

La dégradation de l'environnement urbain, aisément constatable, s'accentuera si rien n'est fait. Et des projets comme celui de l'ouverture de piqueries légales et supervisées, sur le modèle du fameux Insite de Vancouver, vont souffrir d'une hostilité populaire croissante à l'endroit de tous les marginaux.

Dans l'arrondissement Ville-Marie, lourdement perturbé par l'itinérance, un mouvement citoyen représentant 45 000 résidents manifeste déjà sa crainte de vivre sous peu dans une sorte d'« East Side Vancouver ». Il s'agit du quartier le plus mal en point au pays, où logent Insite ainsi que des milliers de revendeurs de drogue et de sans-abri.

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Encore autre chose.

De considérables ressources humaines et financières existent déjà. Sans parler de celles administrées directement par l'État, quelque 93 groupes populaires à Montréal, et 280 au Québec, se préoccupent d'itinérance. Ce n'est pas peu! Les sommes consenties par Québec au Plan d'action de lutte contre l'itinérance (2009) sont passées de 14 à 63 millions $ pour trois ans. À lui seul, le programme fédéral Chez Soi (qui a logé Farshad Mohammadi, la victime du métro Bonaventure) a été doté d'un budget de 110 millions.

Il en faudrait plus? Sans doute. Mais, en attendant, deux choses étonnent.

Un, on ignore combien au juste il y a d'itinérants au Québec. C'est pourtant crucial! Depuis dix ans, on a parlé autant de 3000 (en 2001, selon le recensement) que de 30 000 (aujourd'hui, selon les groupes de pression). Même chose en France ou aux États-Unis, où les estimations vont de quelques dizaines de milliers à trois ou quatre millions!

Il y a plusieurs raisons à cela, l'une étant que les bons sentiments font rarement les bonnes statistiques. Un organisme charitable français - que, par charité, nous n'identifierons pas - a déjà inclus dans ses chiffres sur l'itinérance les 2,1 millions de personnes se trouvant chez elles « en privation de confort ». Ce qui est pénible, certes, mais n'équivaut pas à dormir sous les ponts!

Deuxième sujet d'étonnement: les secours les plus indispensables semblent les moins bien financés. C'est le cas des refuges, soupes, comptoirs de vêtements et d'autres nécessités. Par exemple, l'Accueil Bonneau comble moins de 15% de son budget annuel avec les subsides reçus des trois paliers de gouvernement.

Un dernier point.

Il importe d'éviter qu'un mur d'hostilité se dresse entre les itinérants et la population générale. Or, ce mur commence déjà à s'élever, résultat de ce qui apparaît comme une politique de laisser-faire dans les espaces publics.

De ça aussi, il faudra se préoccuper si le sort des sans-abri importe vraiment.