Peu d'événements peuvent mieux illustrer les travers plus répugnants du genre humain que celui impliquant un pasteur chrétien brûleur de Coran et les foules musulmanes répliquant par le massacre. On voit ainsi se dévoyer l'une des grandes conquêtes de la civilisation occidentale, celle de la liberté d'expression. Pour contempler ensuite le naufrage de la ferveur religieuse dans un gouffre de vengeance et de mort.

Pourquoi?

Terry Jones, le père spirituel de la minuscule Église évangéliste floridienne (entre 20 et 30 membres) par qui le scandale arrive, n'est pas inconnu au bataillon.

En septembre dernier, on s'en souvient, il avait menacé une première fois de brûler des exemplaires du Coran. Probablement satisfait du tintamarre médiatique et flatté par les courbettes des bonzes de Washington, il avait fini par renoncer. Mais, cette fois, après avoir alerté à nouveau la presse (qui n'a pas mordu), le pasteur pyromane a bel et bien allumé un formidable incendie...

Comment ne pas abîmer d'injures un tel énergumène, à n'en pas douter soucieux uniquement de ses 15 minutes de gloire et du profit qu'il pourra en tirer? Est-ce cela, la liberté d'expression?

Jones n'exprime rien. Et seule la conception américaine extraordinairement large de cette liberté fondamentale permet à Terry Jones d'exister en protégeant même cette non-expression! Ainsi, une autre congrégation de flyés, une Église baptiste de Westboro non moins odieuse, a déjà été « autorisée « par la Cour suprême à manifester lors des funérailles de soldats tués au combat. Manifester pour dire quoi ? Que ces morts sont justes et légitimes, étant destinées à punir une Amérique coupable de tolérance à l'endroit des homosexuels! Imagine-t-on la sévérité de l'affront ainsi fait aux familles?

Et peut-on aller plus loin dans l'abjection?

Oui, on le peut.

Aussi dégoûtants soient-ils, Terry Jones ou les baptistes de Westboro n'ont tué personne. Certes, ces fondamentalistes chrétiens sont stupides et sans conscience, mais certains fondamentalistes musulmans sont, eux, des assassins. À ce jour, les gestes de protestation dirigés contre le pasteur de la Floride ont fait au moins 24 morts, dont sept employés de l'ONU, à Mazar-i-Sharif et à Kandahar; aucune des victimes n'a quoi que ce soit à voir avec le pasteur.

Hier, le président afghan Hamid Karzaï a ordonné la tenue d'une enquête sur ces événements.

Cependant, il faut s'interroger sur son rôle dans cette affaire. Ainsi, il aurait certainement mieux fait de ne pas dénoncer publiquement le pasteur alors que l'autodafé du 20 mars passait inaperçu. En outre, pourquoi a-t-il réclamé que Terry Jones soit traduit en justice aux États-Unis, ce qu'il sait être impossible?

Entre le geste stupide de Terry Jones, les débordements meurtriers de la « rue « afghane et le double jeu irresponsable d'Hamid Karzaï, il n'y a rien dans cette saga qui soit très glorieux.