Le sondage CROP-La Presse publié hier indique que l'appui à la Charte des valeurs est solide; la moitié des Québécois y sont favorables, contre 40% qui s'y opposent. Les résultats de l'enquête recèlent toutefois une donnée paradoxale: peu de gens ont fait affaire avec un employé du secteur public portant un signe religieux.

Seulement 21% des Québécois disent avoir rencontré une infirmière portant un signe religieux au moins une fois au cours des cinq dernières années. La proportion est encore plus faible pour les autres catégories de professionnels: 10% des personnes interrogées ont eu affaire à un enseignant arborant un signe de foi, 4% un policier et 3% un juge. Parmi les Québécois qui ont été servis par un employé du secteur public portant un vêtement ou un bijou religieux, 59% affirment que cette situation ne les a «pas du tout» mis mal à l'aise, et 87% disent avoir été satisfaits du service reçu.

Ces données démontrent que la mesure-phare de la Charte des valeurs s'attaque à un problème qui n'existe pas. C'est ce qui la rend particulièrement odieuse: on ne devrait limiter l'exercice d'un droit fondamental (ici, la liberté religieuse) que lorsque confronté à des circonstances graves et exceptionnelles. La crainte d'une invasion du Québec par des commandos intégristes (!) ne constitue certainement pas une raison suffisante.

Plus une personne a croisé des employés du secteur public portant un signe religieux, plus elle tend à s'opposer à l'interdiction. Ainsi, les anglophones et allophones sont deux fois plus nombreux que les francophones à avoir été servis par quelqu'un arborant un symbole religieux; pourtant, 60% d'entre eux sont «tout à fait en désaccord» avec la proscription annoncée par le gouvernement.

Le mécontentement provoqué par la Charte au sein des minorités culturelles ressort clairement du sondage CROP: 82% sont contre le projet de loi. Pauline Marois disait la semaine dernière ne pas sentir «sur le terrain» l'inquiétude des anglophones et allophones; de toute évidence, la première ministre ne fréquente pas le même «terrain» que les membres de ces communautés.

Si le gouvernement péquiste avait voulu rassembler les Québécois autour de cet enjeu, il aurait proposé une interdiction limitée aux seuls vêtements couvrant le visage. En effet, même chez les Québécois anglophones et allophones, une majorité s'oppose à ce que les travailleurs du secteur public aient le visage caché par une burqa ou un niqab. Une telle politique aurait évité à la province un débat douloureux dont elle risque de porter longtemps les cicatrices.

Une dernière observation: même si le gouvernement Marois a présenté sa Charte comme une manière de garantir la laïcité de l'État, la population n'exige pas la disparition de tous les symboles religieux. Selon le sondage CROP, près de 60% des Québécois n'ont pas d'objection à ce qu'un employé du gouvernement porte un crucifix. Ce qui dérange, ce n'est pas la religion comme telle; c'est la religion des autres.