Au cours d'une conférence de presse tenue hier au sujet du contrôle des armes à feu, un reporter a rappelé au président américain, Barack Obama, que lors de sa campagne électorale de 2008, il avait promis de rétablir l'interdiction des armes semi-automatiques. «Qu'avez-vous fait depuis?», a lancé le journaliste au président.

Les partisans d'un contrôle plus serré des armes à feu ont longtemps déploré l'inaction de M. Obama dans ce dossier. Toutefois, l'attitude du président était parfaitement compréhensible: il savait que jamais il n'aurait pu obtenir du Congrès un vote favorable à un projet de loi restreignant le droit de posséder une arme à feu.

Les grands politiciens se distinguent par leur capacité de percevoir et de saisir les occasions. Le film Lincoln, présentement à l'affiche, en donne une illustration saisissante. On y voit le 16e président des États-Unis profiter de circonstances inédites pour faire adopter l'amendement constitutionnel qui interdit l'esclavage. Longtemps, Lincoln s'était opposé à un tel amendement, convaincu que le pays n'y était pas prêt. Cependant, dès qu'il a vu l'ouverture, il a foncé.

Dans le dossier du contrôle des armes à feu, la tragédie de Newtown a peut-être créé l'ouverture que Barack Obama attendait. En tout cas, il fonce: un comité dirigé par le vice-président Joe Biden doit proposer des solutions d'ici un mois.

Bien sûr, l'esclavage et la prolifération des armes semi-automatiques ne sont pas des problèmes du même ordre et les circonstances sont très différentes. Néanmoins, aujourd'hui comme en 1864, deux cultures s'affrontent, des milliers de vies sont en jeu, et la classe politique se trouve soudainement à la croisée de chemins.

M. Obama a promis d'«employer tous les pouvoirs de [sa] fonction en faveur de mesures visant à prévenir de telles tragédies», comme Lincoln évoquait alors «les immenses pouvoirs» dont il disposait pour convaincre les membres du Congrès. Cela dit, le président actuel sait très bien que, occasion ou pas, la bataille législative sera rude. Malgré la vive émotion suscitée par la tuerie de vendredi dernier, la majorité populaire en faveur de l'interdiction de certaines armes à feu paraît fragile.

En outre, si une nouvelle loi limitant le droit de posséder certaines armes finit par être adoptée, elle n'empêchera certainement pas toutes les tueries (pas plus que le 13e amendement n'a réglé les problèmes des Noirs aux États-Unis). L'expérience passée a montré que les citoyens et les fabricants d'armes trouvent facilement moyen d'exploiter les failles de toute réglementation. Néanmoins, comme l'a souligné le président hier, «ce n'est pas une raison pour ne pas essayer.»

La politique, c'est certes l'art de profiter des occasions. Mais c'est surtout l'art du possible.