Êtes-vous en faveur d'élections générales à date fixe au Québec ? Si c'est le cas, le premier lundi d'octobre tous les quatre ans, tel que proposé par le gouvernement Marois, vous apparaît-il un bon choix ?

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser



PEU D'AVANTAGES

Fixe après quatre ans, mais souple dans l'intervalle. Ce projet de loi vise essentiellement à baliser un des privilèges de notre premier ministre. Ce dernier ne pourra plus déterminer la date des élections lorsque le mandat de son gouvernement viendra à échéance. Entre-temps, rien ne sera changé. Le lieutenant-gouverneur pourra toujours dissoudre l'Assemblée nationale et déclencher des élections anticipées. Cette loi n'empêchera donc pas les partis d'opposition de renverser notre gouvernement minoritaire dans les prochains mois. Pas plus qu'une loi du genre n'avait empêché Stephen Harper de déclencher des élections en 2008. Outre l'idée de prévisibilité des élections à la fin d'une législature, il y a peu d'avantages à avoir une loi sur les élections à date fixe. On peut même anticiper qu'une campagne électorale officieuse précédera désormais la campagne officielle qui dure normalement entre 32 et 38 jours. Aux États-Unis, où les élections se tiennent à date fixe, on dit souvent que les campagnes électorales s'étendent sur plusieurs mois. Dans la mesure où les gouvernements ont la fâcheuse tendance à financer leur réélection en dilapidant l'argent public, je ne suis pas certain qu'une campagne électorale de six mois soit une bonne nouvelle pour les contribuables québécois.

Pierre Simard

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



UN FREIN À L'ARBITRAIRE POLITIQUE

Les élections à date fixe sont une priorité démocratique, car elles mettront un frein à l'arbitraire de l'agenda politique et éviteront les manipulations de l'opinion publique. Toutefois, la loi devrait être valide aussi pour les gouvernements minoritaires, sauf dans le cas où ceux-ci sont battus lors d'un vote de confiance par une majorité de députés de l'Assemblée nationale. Qui ne se souvient pas des coups de force de certains gouvernements, qui se sont accrochés au pouvoir ou ont provoqué des élections inutilement au gré des sondages? Pensons à l'élection de 1973, où le gouvernement Bourassa a précipité des élections après seulement trois années de pouvoir, profitant de l'insécurité due à la Crise d'octobre 1970, et ce, malgré une majorité confortable de 102 députés élus. Il a répété cet exercice en 1976 à la lumière de nombreux scandales mais, cette fois, les électeurs n'ont pas été dupes, et ont élu pour la première fois un gouvernement du Parti québécois. Par ailleurs, le premier lundi du mois d'octobre est un bon moment: cela évitera toute tentative d'élections pendant l'été ou la veille de Noël, comme l'avait fait Jean Charest un certains 8 décembre 2008. Quant aux fêtes religieuses, j'estime que le vote par anticipation permet un accommodement raisonnable, mais dans le cas d'un cataclysme naturel, comme la crise du verglas, le Directeur général des élections devrait pouvoir reporter l'élection de quelques semaines.

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital 



PAS UNE OBLIGATION

Détrompez-vous si vous pensez que le projet de loi 3, une fois adopté, aura pour conséquence de forcer le gouvernement à déclarer des élections à date fixe, le dernier lundi du mois de septembre tous les quatre ans.  Bien que ce soit ce qui dit l'article 1 du projet de loi, l'article 6 du même projet de loi vient le contredire en spécifiant ce que nous savons déjà tous, soit que seul le lieutenant-gouverneur peut dissoudre l'Assemblée nationale avant l'expiration d'une législature. Rien dans le projet de loi n'empêchera donc le lieutenant-gouverneur de dissoudre l'Assemblée à la demande du premier ministre!  C'est d'ailleurs ce que Stephen Harper a fait quelques mois à peine après que le Parlement canadien ait adopté une loi similaire. Alors tout ce bruit de fond au sujet des fêtes religieuses n'est que ça... du bruit de fond.  On n'aurait pas des problèmes plus pressants à régler au Québec ?

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



ABSENCE DE MARGE DE MANOEUVRE 

Les élections à période fixe sont une excellente nouvelle, pourvu qu'il ne soit pas permis à la personne qui occupe la chaise de premier ministre de déclencher des élections anticipées pour je ne sais quelle lubie. Peut-être, avec une telle formule électorale, obtiendrons-nous des gouvernements qui géreront mieux les affaires de l'État, sachant que l'effet-surprise du déclenchement des élections ne sera plus possible. Les sondages prendront du galon, car on va vouloir tenir davantage compte de l'opinion de la population. C'est elle qui juge et sanctionne. Le début de l'automne est également un choix judicieux. Les grandes vacances sont terminées. La température est normalement plus clémente à ce temps de l'année et la saison touristique tire à sa fin. Par ailleurs, je serais enclin à suggérer non pas à date fixe, mais à période fixe. Quelques raisons militent en faveur de ce choix. D'abord, les élections au 1er octobre supposent une campagne électorale durant le mois de septembre et ce mois est particulièrement occupé, notamment par le début de l'année scolaire. En second lieu, fixer une période, comme entre le 15 octobre et le 15 novembre, permet de tenir compte de certains événements majeurs qui pourraient survenir une année donnée, l'absence de marge de manoeuvre étant contraignante.

Jean Gouin

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



PETIT PAS VERS PLUS DE DÉMOCRATIE

La manipulation de la date des élections par le gouvernement en place constitue un des malaises de notre démocratie. Ce problème me semble moindre que le vote uninominal à un tour amenant le vote stratégique, les gouvernements majoritaires élus par une minorité des électeurs et une mise à l'écart des tiers partis. Mais il faut bien commencer quelque part pour rendre le processus électoral plus démocratique. Actuellement, le gouvernement tente de profiter de la conjoncture sociale ou économique pour déclencher les élections. Malheureusement, la date fixe ne l'empêchera pas de manipuler l'opinion publique: il pourra réserver des bonbons électoraux pour la période précédant la date connue. Aussi, le premier ministre peut convoquer les élections malgré la loi en plaidant la nécessité auprès du représentant de la Reine, comme l'a fait Stephen Harper en 2008. Finalement, les partis d'opposition peuvent renverser le gouvernement en place et forcer les élections avant la date fixée, comme en 2011 au fédéral. La date fixe devient ainsi mobile. Le début d'octobre est approprié: après la rentrée scolaire et parlementaire, avant l'envol des snowbirds. Le vote par anticipation rend la date exacte sans importance.

Jana Havrankova

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



EN FAIRE UN ÉVÉNEMENT

Les élections à date fixe amèneraient un avantage important: ce serait un moyen de transformer l'élection en événement. Le choix du gouvernement et, par le fait même, le choix du premier ministre intéressent de moins en moins l'électorat d'une élection à l'autre. Il faut tenter de ramener un certain engouement populaire en ce qui a trait à la sphère politique, et le fait de créer un «build up» pourrait ramener certains électeurs indifférents vers les urnes. Dans un autre ordre d'idées, des élections à date fixe empêcheraient les partis de l'opposition de défaire le gouvernement en cours de mandat, ce qui réduirait donc le poids politique de l'opposition. On n'assisterait vraisemblablement donc plus aux redoutés votes de confiance qui déterminent du sort d'un gouvernement. Ceux qui seraient là y resteraient, pour le meilleur et pour le pire. Pour ce qui est de la date, il faudrait choisir la date où les gens seraient le mieux disposés à participer activement à la campagne, au build up pré-électoral. Il faudrait décaler les années pour ne pas interférer avec les élections américaines (nos campagnes feraient bien pâle figure devant les leurs...) et organiser tout ça avant Noël, après la rentrée des classes, avant le début de saison du Canadien, hors de la période des vacances, avant l'Halloween et l'Action de grâces, le tout sans toucher au ramadan ni aux fêtes juives... Il ne faudrait pas s'attendre à un consensus sur le choix de la date !

Stéphane Lévesque

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

UN AUTRE ACCOMMODEMENT RAISONNABLE

Une grande majorité de la population est d'accord avec la tenue d'élections générales à date fixe. Or, normalement en démocratie, le principe voulant que le gouvernement décide en fonction de la majorité devrait aussi s'appliquer pour cette question rendue problématique par une infime minorité de personnes. La communauté juive, comme toutes autres ethnies ou certains groupes religieux, ne devrait pas être en mesure d'entraver la volonté de la majorité. Peu importe la date de scrutin que choisira le gouvernement, il y aura toujours des mécontents pour qui une raison qu'ils jugent valable validera leur opposition à une date préétablie. Nous avons le privilège de choisir nos élus de façon libre et éclairée. Allons-nous accorder une fois de plus un accommodement raisonnable à une minorité entravant ainsi le droit de la majorité? D'autant plus que rien n'empêche tout électeur de profiter du vote par anticipation.