D'après vous, l'interdiction du port du turban dans les ligues de soccer du Québec est-elle justifiée?

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



LE BEURRE ET L'ARGENT DU BEURRE

C'est étrange que l'on n'ait pas encore entendu parler d'un mouvement de protestation des sikhs contre la SAAQ qui oblige le port du casque en moto... Ou encore contre la fédération de football qui, comme la fédération de hockey, oblige le port du casque. Dans la pratique de plusieurs sports (nage synchronisée, ski, lutte, course automobile, water-polo, équitation, baseball, etc.), il faut se conformer et accepter le port d'un uniforme avec tout ce qu'il comporte. Dans la même veine, j'imagine mal une femme portant une burqa qui insisterait pour jouer au poker... Ainsi voilée et dissimulant toute mimique, l'avantage serait indéniable. Pourrait-on, par ailleurs, accepter qu'un boxeur traîne avec lui son kirpan pendant un combat? Que dirait-on à un plongeur qui voudrait se présenter en compétition en conservant son turban ?  Rien n'oblige les croyants, peu importe leur religion, à pratiquer un sport, quelconque soit-il. Si leur religion empêche les sikhs d'enlever leur turban, c'est alors clair qu'ils ne peuvent prendre part à plein d'activités qui les obligeraient à se démunir de leur coiffe. De la même façon, les fillettes qui sont voilées ne peuvent se faire maquiller en souris ou en petits chats dans les fêtes pour enfants. On ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Il faut faire un choix.

Stéphane Lévesque

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



DÉCISION IRRÉFLÉCHIE

Le mandat premier de la Fédération québécoise de soccer est de favoriser le développement de ce sport sur l'ensemble du territoire québécois. Autrement dit, la pratique du soccer n'est pas réservée à la seule élite sportive, mais doit être accessible à tous ceux qui veulent le pratiquer. C'est pourquoi la force de cette fédération est d'avoir eu l'ingéniosité d'introduire le soccer tant en milieu scolaire qu'en milieu municipal. Plus les adeptes seront nombreux, plus grandes seront les chances de voir émerger des adeptes du ballon rond des athlètes de niveau national et international. Ces athlètes deviennent alors des ambassadeurs et des modèles pour la jeunesse québécoise. Nous devons considérer le soccer comme un sport de masse où chacun y trouve son compte. À cette fin, les règles doivent avoir une certaine souplesse et être plus permissives à certains égards. On peut comprendre qu'au niveau international, le port du turban puisse être banni. Mais doit-il en être de même lorsqu'il est pratiqué en milieu scolaire ou encore dans les différents clubs municipaux? Pas du tout. C'est à la fédération à s'accommoder et surtout pas aux jeunes joueurs qui prennent plaisir à pratiquer le soccer pour se détendre. La Fédération canadienne s'est adaptée, pourquoi le Québec ferait-il bande à part? Il est encore temps pour Brigitte Frot et son conseil d'administration de revoir une décision prise de façon irréfléchie.

Jean Gouin

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



À CHAQUE LIGUE DE DÉCIDER

Nous avons tendance à créer inutilement des « débats de société » qui monopolisent, pour tout et pour rien, nos énergies. En raison de cela, des gens deviennent passionnés et ont de fortes opinions sur des sujets qui ne les concernent même pas vraiment. C'est ainsi qu'un activiste du Plateau Mont-Royal devient tout excité et s'engage dans une diarrhée verbale à propos de la possible présence de puits de gaz de schiste sur le terrain d'un agriculteur qu'il ne connaît aucunement, vivant à des centaines de kilomètres du Plateau, et alors que l'agriculteur en question serait peut-être absolument d'accord de céder un droit d'exploitation en échange d'une compensation de 150 000 $ par année. Mais, qu'à cela ne tienne, l'activiste s'active activement! Et les médias autour de lui font de même. Les modes de résolution de conflits qui devraient être utilisés afin d'opérer les arbitrages voulus dans le débat autour de l'interdiction du port du turban sont le respect des droits de propriété et le respect de la liberté contractuelle. Ces institutions fondamentales, qui sont par ailleurs à la base de la prospérité de l'Occident, peuvent régler pacifiquement la très grande majorité des conflits, lorsque les parties en comprennent et en respectent les implications. En pratique, chaque ligue de soccer devrait pouvoir conclure un contrat avec les parents des enfants concernés. Certaines ligues, pour de bonnes ou mauvaises raisons, voudront peut-être interdire le port du turban. Et elles devraient être libres de le faire. Et ceux qui tiennent mordicus au port du turban n'auraient qu'à créer leur propre ligue où celui-ci serait autorisé, voire même obligatoire. En ce cas, on voudra évidemment que les contrats en question ne contiennent pas de clauses illégales, et la loi en vigueur interdirait cela de toute façon, comme c'est le cas pour tout les contrats conclus au Québec. Mais le principe général en serait un de respect de la liberté d'autrui, le tout par l'entremise de contrats clairs et volontairement consentis. Dans un tel monde, on pourrait même imaginer une ligue de soccer composée de nudistes excentriques où le port de tout vêtement serait interdit, tout en imposant par ailleurs le port du turban. Là comme ailleurs, les gens seraient libres d'y adhérer. Vivre et laisser vivre. Est-ce quelque chose de si difficile à comprendre?

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette



POURQUOI DES INTERDITS?

J'ai toujours eu de la difficulté avec les interdits. Je ne peux comprendre que la règle ou la loi passe avant les êtres humains. La loi est un guide pour nous aider à vivre en société. Dans l'évangile, ne dit-on pas : « Le sabbat est fait pour l'homme et non pas l'homme pour le sabbat »? Il s'agit qu'une chose soit interdite pour qu'on l'adopte. Dans ma jeunesse, les frères enseignants jouaient au hockey et au ballon-balai en soutane, ce qui les avantageait pour arrêter la rondelle ou le ballon. Personne ne disait que c'était contre la règle. Alors pourquoi faire une tempête dans un verre d'eau? Le turban des sikhs est-il dangereux au soccer? Si c'est le cas, il faut aviser ceux qui pratiquent ce sport; mais si ce n'est pas le cas, pourquoi l'interdire? J'ai aussi de la difficulté à comprendre qu'un costume religieux ou un signe distinctif devienne tellement important qu'il nous faut le porter en tout temps. Je suis prêtre. Il m'arrive de porter mon costume de prêtre lorsque j'exerce une fonction officielle. Mais en d'autres temps, il m'arrive de ne pas le porter, non pas pour cacher mon identité, mais tout simplement parce que ce n'est pas nécessaire. C'est tout! Cessons de nous battre contre des costumes ou des symboles religieux; s'ils sont inoffensifs, pourquoi les interdire? En faisant cela, on risque de favoriser la ghettoïsation au lieu de l'intégration des communautés immigrantes qui viennent s'établir chez nous. Accueillir l'autre avec ses valeurs et ses coutumes, c'est aussi lui partager les nôtres, et le temps nous permettra de nous ajuster l'un et l'autre.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



PITIÉ POUR CES GARÇONS!

En regardant ces garçons enturbannés, j'éprouve surtout de la compassion. Je leur souhaiterais plus de liberté, de liberté physique pour commencer. Il me semble qu'il doit être peu commode de jouer au soccer avec un turban. Le joueur est-il aussi agile, peut-il donner des coups de tête aussi facilement ainsi affublé? Par ailleurs, il est navrant de voir les jeunes soumis aux dictats religieux, quels qu'ils soient. Cependant, les exclure des jeux collectifs s'avère parfaitement contreproductif. La société québécoise, veut-elle se priver de l'opportunité d'intégrer ces garçons dans le soccer, puis en société ? Interdire le port du turban en invoquant la sécurité ne tient pas la route. La Fédération de soccer du Québec a été incapable de relever des incidents qui auraient été liés au port de ce couvre-chef. Pourtant, comme les autres provinces canadiennes permettent le port du turban, les données doivent exister à ce sujet. Finalement, si on interdisait tout ce qui indispose certaines personnes, les tatouages qui couvrent tout corps, les cheveux mauves et verts en coupe punk, la musique tonitruante dans les voitures seraient interdits. Pourquoi se borner à stigmatiser uniquement les signes religieux, tant qu'à y être? Une bonne dose de tolérance, y compris religieuse, serait souhaitable.

Jana Havrankova

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



IL FAUT CLORE LE DÉBAT

Il est facile de croire que cette interdiction sera contestée. Nous n'avons qu'à penser à la cause de ce jeune homme voulant porter son kirpan à l'école: la Cour suprême lui a accordé ce droit. Ou encore à la GRC qui permet aux policiers sikhs de porter le turban traditionnel. Tant que notre société accordera des accommodements dits raisonnables à certaines personnes, d'autres voudront aussi s'en prévaloir. Il nous faut clore ce débat une fois pour toutes en adoptant, non pas une charte des valeurs telle que le propose le PQ, mais une plutôt une charte sur la laïcité qui interdira le port de tout accoutrement religieux et\ou ostentatoire. La démocratie se définit en tout premier lieu par sa capacité d'adopter des lois et des règlements qui englobent et définissent la v,olonté de la majorité de la population, et non des individus. Si nous cédons chaque fois qu'une telle demande est formulée nous démontrons notre manque de courage et notre volonté à vouloir inculquer nos valeurs aux immigrants, qui sont libres de faire comme bon leur semble en privé et dans leurs lieux de culte. Je suis moi-même fils d'immigrants et j'exprime ma grande fierté face à l'intégration de mes parents aux us et coutumes de la société québécoise, qui valorisent l'intégration et la liberté d'expression. Soyons conciliants, mais pas au point d'oublier nos valeurs.

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser



LE PRIX DE LA LIBERTÉ

Au nom de la sécurité, les jeunes de religion sikhe ne pourront plus jouer au soccer avec un turban. Si le ridicule tuait, il n'y aurait plus personne pour diriger notre fédération de soccer. Le Québec est tellement traumatisé par le risque de perdre son identité, que n'importe qui se sent justifié d'invoquer une ânerie pour rejeter celui qui ne lui ressemble pas. Nous sommes sur le point de perdre de vue que le Québec est d'abord et avant tout une société libre. On ne supporte plus qu'il soit permis à un individu d'afficher sa différence. Comme si toute activité dans un espace commun devait être soumise à des règles précisant ce qui est obligatoire ou interdit. Lorsqu'on en est rendu à prétendre que les jeunes joueurs de soccer sont les porte-étendards de la neutralité de l'État, le jour n'est pas loin où quelqu'un réclamera le port d'un uniforme obligatoire pour quiconque sort de chez lui. Il serait peut-être temps de réaliser que cette intolérance à l'égard de l'autre est en voie de détruire notre qualité de vie. Le prix à payer pour vivre en liberté, c'est d'abord et avant tout de tolérer les différences qui peuvent s'exprimer dans une vie en société.

Pierre Simard

Francine Laplante

Femme d'affaires



LE RESPECT DES RÈGLES

La FIFA a décrété que le port du turban est interdit dans les 209 fédérations qu'elle représente. Ce règlement fait partie intégrante des règles de base au même niveau que toutes les autres. Si tu décides de t'inscrire dans une des équipes régies par la FIFA, tu es obligé d'endosser ses règles, point à la ligne. À mon avis, c'est être hypocrite et de jouer sur les cordes sensibles de la discrimination et du refus d'intégration des jeunes enfants de faire fi de ce règlement. Cependant, il est complètement absurde de la part des dirigeants de la Fédération de soccer du Québec d'évoquer la sécurité des joueurs comme principal motif de refus du turban. Encore une fois, nous sommes incapables de nous tenir droit, de faire face à la musique et de dire les vraies choses. Nous avons décidé que le turban était interdit? Le turban est interdit, point! Si vous voulez que votre enfant joue au soccer, il est le bienvenu, mais il doit respecter les règles, toutes les règles, c'est la vie!

Jean-Pierre Aubry

Fellow associé au CIRANO



L'EXCUSE DE LA SÉCURITÉ

Pierre Foglia a bien résumé ma pensée sur ce sujet : «... je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de dangereux à jouer au soccer avec un turban. L'argument sécuritaire servi par la fédération québécoise de soccer en justification de sa décision  d'interdire le turban sur ses terrains est une petite lâcheté... et une grande maladresse.»  Cette fédération se devait de démontrer par une argumentation de qualité les dangers du port du turban  pour celui qui le porte ou pour les autres joueurs. Le fardeau de la preuve reposait sur ses épaules. C'est une décision qui ne fait pas de sens, surtout pour les cas où le soccer qui n'est pas joué à un haut niveau de compétition, lequel impose un stricte suivi de règles nationales ou  internationales.  La sécurité a souvent le dos trop large dans notre société où une minimisation excessive des risques mène à l'inaction. Elle sert aussi trop souvent d'excuse à la non-utilisation du gros bon sens.

Daniel Gill

Professeur agrégé à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal

DÉRAISONNABLE

Autre belle preuve de notre difficulté collective à accepter l'étranger. Mais que ce passe-t-il depuis le retour du PQ au pouvoir? Sans leur imputer la faute, s'ils ont engendré un regain de la fibre nationaliste, il semble loin d'être inclusif. Après le pastagate, le refus de synagogue dans un quartier juif plus que centenaire, voilà que sous des prétextes faciles, on ostracise des jeunes pour le port d'un objet religieux. Il faudrait que quelqu'un arrête tout ça, on est en voie de devenir à la face du monde l'endroit le plus raciste et xénophobe de la planète, alors qu'il me semble qu'on est un des endroits les plus accueillants. On est loin de notre Terre des hommes de l'Expo 67. Chers nationalistes, il faudra s'y faire, nous ne sommes plus en 1970,  le Québec à protéger d'autrefois n'existe plus et n'existera plus. Et par notre propre faute. Il faudrait bien s'habituer à cette nouvelle réalité, le fait de ne pas avoir fait d'enfants, ce qui va nous obliger à accueillir de plus en plus d'immigrants qui ne seront plus comme autrefois d'origine chrétienne, blanche et européenne. Nos comportements déraisonnables seraient-ils le reflet de ce triste constat qu'il faudra bien admettre un jour que nous disparaissons lentement.

Daniel Gill

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux



APRÈS LE TURBAN, LE KIRPAN ?

Tous les sports d'équipe ont leur règle commune. Les sikhs veulent porter un turban pour tenir leurs cheveux longs pour des raisons religieuses, après tout n'ont-ils pas déjà obtenu le droit de porter le kirpan (petit couteau sacré) dans les classes suite à un jugement de la cour suprême du Canada? Ont-ils le droit de porter ce couteau en jouant au soccer, puisqu'ils ne peuvent s'en séparer sous prétexte de trahir leur croyance religieuse? Pourquoi n'attache-t-ils pas leurs cheveux longs avec de simples bandeaux et ne laissent-t-ils pas leur turban et leur kirpan au vestiaire, le temps d'une bonne partie de soccer? Est-ce qu'un tel geste serait interprété comme une trahison de leur religion ? Que font les sikhs quand leurs enfants veulent participer à des compétitions de hockey, acceptent-ils de porter le casque protecteur par-dessus leur turban, en acceptant de devenir anonyme aux yeux de tous? Quant aux compétitions de natation et de plongeon, les enfants sikhs portent-ils un turban en dessous du casque de bain et un kirpan dans leur maillot de bain? J'ai l'impression que les dirigeants religieux sikhs se servent de leurs enfants pour un combat d'affirmation identitaire et non religieux. N'est-ce pas là une façon pour eux de s'affirmer de façon distinctive en tant que sikh en prenant leurs enfants en otage pour fin de propagande en tentant de démontrer que la culture québécoise est intolérante?

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital 



SPHÈRE PRIVÉE ET SPHÈRE PUBLIQUE

Dans la question des accommodements raisonnables, il faut distinguer entre la sphère privée et la sphère publique. Dans la sphère privée, les droits de propriété et la liberté de contracter devraient permettre aux parties de décider comment elles veulent gouverner leurs relations. Dans la sphère publique, on devrait fonder les accommodements sur la nature de l'accommodement demandé (par exemple, est-ce raisonnable de libéraliser le stationnement le jour d'une grande fête?) et non pas sur la raison invoquée (par exemple, est-ce demandé parce qu'ils sont juifs hassidiques?). Malheureusement, des problèmes qui se régleraient normalement entre deux cocontractants privés sont trop souvent transposés dans la sphère publique pour faire l'objet d'un examen de conscience nationale à cause de l'implication de l'État. Disons que vous exploitez une clinique médicale privée. Ce sera à vous de décider de l'uniforme de vos employés et comment ceux-ci devront cacher ou non leur chevelure. Mais dans le cas d'un hôpital géré par l'État, cette question fera l'objet de la «une» du journal local et deviendra politisée. Avec l'étatisme mur-à-mur qui afflige le Québec, parions qu'on n'a pas fini de voir les politiciens être questionnés par les médias sur tel ou tel  accommodement... et, à chaque fois, éviter soigneusement de se mouiller les pieds !

Adrien Pouliot