D'après vous, l'élection de Justin Trudeau comme chef du Parti libéral du Canada est-elle une bonne nouvelle pour son parti, pour les Québécois, pour les Canadiens? Fera-t-il le poids contre Stephen Harper et Thomas Mulcair?

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse

UN BOXEUR DANS L'ARÈNE POLITIQUE

Si l'on se fie au combat de boxe qu'a livré Justin Trudeau au sénateur conservateur Patrick Brazeau, il y a tout lieu de croire que le fils a hérité du père le goût pour les escarmouches et qu'il est capable de donner coup pour coup jusqu'à la victoire. Il a du répondant, ce Justin, et il en a surpris plus d'un jusqu'à maintenant tant dans sa circonscription que durant la course à la direction. Il possède de la couleur et tous les caricaturistes du pays sont heureux de le voir prendre la tête du Parti libéral du Canada aujourd'hui. Serait-ce suffisant pour rétablir le blason du PLC? Une belle image avec un bagou certain du chef peut-elle constituer l'ingrédient essentiel qui manquait au PLC pour le faire remonter dans les sondages et gagner les prochaines élections fédérales prévues pour 2015? Il faudra que Justin Trudeau cesse de faire des déclarations provocantes et qu'il commence à promouvoir une vision originale du pays au-delà des formules creuses pour gagner les faveurs de l'électorat et enlever des votes à Harper ou à Mulcair. Ces derniers ne sont pas des boxeurs en goguette, ils possèdent les droites et les gauches pour mettre n'importe quel adversaire K.O. dans l'arène politique.

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Jana Havrankova 

Médecin endocrinologue

LE TEMPS D'APPRENTISSAGE

Par certains de ses propos maladroits, Justin Trudeau a démontré qu'il aurait besoin de se familiariser avec la politique canadienne avant d'aspirer au poste du premier ministre. Autant la langue de bois des politiciens est détestable, autant des paroles irréfléchies et peu nuancées, faisant l'objet de rétractions ultérieures plus ou moins adroites, nuisent à la crédibilité d'un chef. Les conservateurs se feront un plaisir fou de dénoncer chacune des incohérences de Justin Trudeau. Pour sa part, Thomas Mulcair se montre capable d'argumenter de façon plus efficace que le nouveau chef libéral, sans forcément contrarier inutilement ses adversaires. Devant les gaffes de Justin Trudeau, certains commentateurs avancent qu'il dit tout haut ce que d'autres pensent tout bas. Qui pourrait contester, par exemple, que les politiques conservatrices éloignent la majorité des Québécois du gouvernement fédéral? Mais il y a les faits, et il y a la manière de les énoncer. Dans les mois à venir, le chef du PLC devra s'imprégner de la réalité canadienne d'un océan à l'autre. Puis, essayer de rassembler les Canadiens autour des préoccupations communes et concilier les points de vue même s'ils paraissent irréconciliables. Cela incombe à un grand homme politique. Justin Trudeau, après une période d'apprentissage, en sera-t-il un? 

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

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Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec

LA POLITIQUE SPECTACLE 

Le seul candidat a gagné. Les autres prétendants auront joué le rôle du figurant qui n'a jamais figuré. D'ailleurs, si ce n'était de Justin Trudeau, la course à la direction du PLC serait passée sous le radar des médias. En réalité, le nouveau chef du PLC a fait la démonstration qu'avoir des idées, et en maîtriser le contenu, ne sont plus des qualités requises pour accéder à la direction de son parti. Tout est maintenant une question d'image, une affaire de charisme. Il faut savoir séduire, être présent dans les médias et, surtout, ne pas avoir peur du ridicule : un combat de boxe vend davantage qu'un grand discours. Plusieurs s'attendent à ce que Justin Trudeau précise rapidement sa pensée politique. Je ne suis pas de ceux-là. De nos jours, on ne gagne pas ses élections, on les perd. En attendant que l'usure du pouvoir vienne à bout du gouvernement Harper, le nouveau chef du PLC va probablement s'en tenir à multiplier les apparitions dans les « talk-shows », tout en évitant de trop parler de politique, son talon d'Achille. 

Pierre Simard

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Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO

C'EST À VOIR

Il est trop tôt pour dire si Justin Trudeau fera le poids devant Stephen Harper lors de la prochaine campagne électorale. Le fait qu'il ait gagné le poste de chef du PLC ne nous donne pas beaucoup d'information pour répondre à cette question. Tout au plus, cela nous dit qu'il a su s'entourer de bons conseillers pour bâtir une machine électorale relativement forte et pour gagner une course où il a fait peu d'erreurs et où il y avait peu d'opposants de haut niveau. Cependant, pour battre Stephen Harper, il faudra qu'il aille plus loin que de dire de belles phrases et d'exprimer des objectifs très généraux. Il devra soumettre à l'électorat un programme relativement précis qui explique ce qu'il veut réaliser dans son premier mandat et surtout par quel ensemble de mesures ce sera possible. Justin Trudeau a souvent déclaré ces derniers mois qu'il agira comme premier ministre avec audace. C'est ce qu'il n'a pas fait durant la cette campagne en refusant de présenter un programme plus précis. Certes, ce ne fut pas nécessaire pour gagner la course.  Pourra-t-il le faire lors de la prochaine campagne électorale? C'est à voir... 

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Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



LE SAUVEUR

Voilà! Justin Trudeau est chef du PLC. Comme je suis devenu apolitique au fil du temps et des scandales, je me permets de commenter de façon neutre ce couronnement. Trudeau fils est charismatique et doté d'un sens oratoire que plusieurs lui envient. Certes, son discours politique a besoin d'être adapté à la réalité, mais nous pouvons facilement croire que son entourage l'aidera à parler politique tout en gardant son style unique et semblable à son paternel. Une fois fignolé, le discours de Justin Trudeau le mènera probablement au poste de premier ministre du Canada, décoiffant au passage les conservateurs et le NPD. Certaines de mes connaissances habitant sa circonscription, bloquistes et partisans du NPD sont prêts à voter pour lui afin de démontrer leur mécontentement face aux politiques à la Bush de Stephen Harper. Le jeune Trudeau pourra être qualifié par certains membres du PLC comme le sauveur, car il semble avoir relégué aux oubliettes le pas si lointain scandale des commandites.  Par contre, le jeune Trudeau qui représente le fédéralisme devra séduire les Québécois qui se sentent isolés et exclus du ROC. Ce sera sans doute son plus grand défi.

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Yolande Cohen

Historienne à l'UQAM 





RASSEMBLEUR DES FORCES PROGRESSISTES?

Dans notre société distincte, le nom de Trudeau évoque des réactions très fortes, et malgré l'indifférence affichée des médias à l'égard de la campagne menée par Justin, les avis sont partagés et souvent tranchés : on aime ou on n'aime pas. Dans le reste du Canada, les libéraux affichent un amour inconditionnel envers leur nouveau sauveur. Les sondages, qui le donnent gagnant contre Harper ou Mulcair si les élections avaient lieu aujourd'hui, ont sans doute été dans la tête de tous les délégués qui ont voté pour lui comme chef du parti. Il faut se rappeler que des sondages avaient propulsé Kim Campbell, une illustre inconnue, à la tête du Parti conservateur. Celle qui deviendra la première femme première ministre du Canada en 1993 avait été préférée à Jean Charest, parce qu'elle représentait un visage nouveau et une autre façon de faire de la politique. Elle n'a pas fait long feu comme première ministre du Canada. Ce qui nous ramène aux rapports complexes qui existent entre l'opinion publique, les partis politiques et les médias. Avec l'intronisation de Justin Trudeau comme nouveau chef, le Parti libéral du Canada se paye à peu de frais un nouveau visage, tout en s'inscrivant dans la tradition des dynasties politiques chères à nos démocraties avancées. Justin Trudeau a pour lui cet atout d'être un libéral, jeune et patenté. Alors que la politique spectacle nous convie à croire que tout est dans l'image, on devrait se rappeler que le Parti libéral ne sortira de sa troisième place que s'il se réforme en profondeur pour redevenir un parti du centre. Dans notre univers clivé, il est loin d'être certain que Justin Trudeau puisse se transformer en grand rassembleur des forces progressistes canadiennes, comme on disait du PLC avant qu'il ne soit marginalisé par les scandales des commandites.

Yolande Cohen

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Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux

UN MOINDRE MAL

Justin Trudeau a les qualités de ses défauts, il est jeune, charismatique, idéaliste et populiste. Ce qu'on lui reproche? De ne pas être assez intellectuel? Il serait politiquement suicidaire d'entrer dans le même moule que ses deux prédécesseurs qui, tout en étant de brillants intellectuels, d'une maturité respectable, étaient dépourvus de charisme et d'habilités de communiquer avec la population. Michaël Ignatieff et Stéphane Dion n'ont-ils pas lamentablement échoué à leur test électoral? Maintenant, Justin Trudeau a-t-il le leadership de son père? En tout cas, il a tous les atouts pour créer une deuxième trudeaumanie. Se servira-t-il de son talent pour faire accepter la Constitution de 1982 aux Québécois? Saura-t-il rallier les Canadiens de toutes tendances vers des défis communs? Il aura amplement le temps dans les deux prochaines années de définir sa pensée et de se distinguer des deux discours traditionnels de droite et de gauche incarnés par Stephen Harper et Thomas Mulcair. Quant au Bloc québécois, à voir la « groupusculisation » et l'effondrement du discours souverainiste devenu passéiste aux yeux de la plupart des Québécois, Justin Trudeau aura peut-être une chance de faire une percée au Québec en 2015, car beaucoup de citoyens verront en lui un moindre mal comme choix politique.

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Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette et ex-député de Repentigny

UNE BONNE NOUVELLE POUR HARPER ET MULCAIR

Je ne suis pas libéral et encore moins fédéraliste, mais je trouve aberrante l'élection de Justin Trudeau comme chef du Parti libéral du Canada. Pour faire contrepoids aux conservateurs et aux néo-démocrates, il aurait fallu élire un homme ou encore une femme de contenu, d'expérience et de sagesse. Justin Trudeau ne possède aucune de ces qualités. À part le nom qu'il porte, dont il n'a aucun mérite, et le sex-appeal de sa jeunesse, ce nouveau chef est une coquille vide qui n'a rien à dire et qui ne pourra rien faire pour son parti, non seulement au Québec, mais partout au Canada. Personnellement, j'aurais souhaité un chef fort, capable de déloger Stephen Harper et sa politique conservatrice, ce que Thomas Mulcair ne pourra jamais faire non plus. Ce qui veut dire que la politique canadienne se détériorera encore pendant longtemps. Le pire de toute cette histoire, c'est que le Québec ne saura en profiter pour y faire enfin sa souveraineté. Encore une fois, le cynisme de la population québécoise et canadienne s'est exprimé en élisant Justin Trudeau. Jusqu'où faudra-t-il aller pour responsabiliser les gens dans le choix de leurs dirigeants? La politique, c'est sérieux et nous sommes tous concernés!

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Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

TROP JEUNE? RESTE À VOIR

L'élection de Justin Trudeau à la tête du Parti libéral du Canada est une excellente chose pour le parti lui-même. M. Trudeau aura essuyé de nombreuses critiques depuis qu'il s'est lancé dans la course à la direction de son parti et il devra s'y faire, car les vautours et les carnassiers sont toujours présents en politique. Personne ne peut reprocher à M. Trudeau son élection. Ceux et celles qui ont la critique facile n'avaient qu'à se présenter. Maintenant, ils doivent prendre acte et démontrer qu'ils ont à coeur la reconstruction de ce parti. Nul doute que Justin Trudeau possède les qualités nécessaires pour redonner au PLC ses lettres de noblesse. La route de la reconstruction sera semée d'embûches et ses adversaires ne manqueront pas de les placer à des endroits stratégiques, mais M. Trudeau saura se sortir des bourbiers dans lequel on le placera. Trop jeune, pas assez d'expérience selon certains. Pas d'accord, il a trempé dans le bain politique toute sa jeunesse et, durant la course au leadership de son parti, il a démontré qu'il avait le bagou nécessaire pour, éventuellement, devenir premier ministre de notre pays. MM. Harper et Mulcair vont devoir composer avec un jeune politicien coriace, qui n'aura aucune hésitation à leur remettre la monnaie de leur pièce et à écraser de temps à autre les plates-bandes conservatrices et néodémocrates.

Jean Gouin

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Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.

DES DOUTES

Il ne m'appartient pas de faire des commentaires politiques partisans quelle que soit la couleur du parti. Toutefois, au-delà du caractère et de la personnalité de Justin Trudeau, le PLC devra faire des choix en termes de positionnement économique qui détermineront sans nul doute les chances de succès électoral. Même avec l'élan d'un nouveau chef d'ores et déjà populaire, si le Parti libéral du Canada persiste à vouloir être plus vert que le Parti vert et plus interventionniste que le NPD, je doute fort qu'il retrouve le statut de grand parti centriste et fédérateur qui fut autrefois sa grande force. Justin Trudeau aura-t-il la volonté nécessaire pour opérer ce virage en face d'une minorité de commentateurs qui votent de toute façon NPD et Québec solidaire et dont les préférences ne représentent en définitive qu'une ou deux circonscriptions sur l'île de Montréal? Justin Trudeau a prouvé qu'il peut « faire le poids » et s'imposer dans un ring, reste à voir s'il peut le faire au Parlement avec des idées précises pour bâtir une approche économique aussi efficace que son jab.

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