Le ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, a exercé des pressions auprès d'institutions financières afin qu'elles ne se lancent pas dans une guerre ouverte des taux hypothécaires. Croyez-vous qu'il s'agit d'une ingérence inappropriée de l'État dans le secteur bancaire?

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée à l'Université de Sherbrooke



INTERVENTION POLITIQUE

Pendant les dernières années, M. Flaherty a exprimé, à  maintes reprises, ses inquiétudes par rapport à l'endettement élevé des ménages canadiens et a mis en garde les institutions bancaires contre la tentation de se lancer dans des politiques laxistes en matière de crédit, notamment le crédit hypothécaire. Mais le geste que le ministre a posé cette semaine est totalement inapproprié. Aussi louables soient-elles, les inquiétudes de  M. Flaherty au sujet de cette possible guerre des taux hypothécaires entre les institutions bancaires auraient dû s'exprimer à travers les canaux politiques traditionnels. C'est au Parlement que revient la responsabilité de légiférer sur les règles qui devraient baliser et encadrer ce secteur d'activité économique (ou un autre). C'est le propre de notre système politique. De plus, imaginez un instant si chaque ministre devait intervenir de la sorte! En ce sens, l'intervention du ministre des Finances est inappropriée. Cependant, ce n'est pas relié au fait que cette intervention représente une ingérence de l'État dans le secteur bancaire. De toute façon, M. Flaherty et son gouvernement ne sont pas très reconnus pour leur grande affection de cette pratique. C'est plutôt parce que cette intervention représente une ingérence politique, maladroite!

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Khalid Adnane

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



SI LE RIDICULE TUAIT...

Voilà que nos institutions financières se font concurrence et baissent les taux hypothécaires. En bon père de famille, le ministre Flaherty s'inquiète. Ce même ministre, qui a augmenté votre hypothèque collective de 150 milliards de $ depuis qu'il est en poste, veut maintenant vous protéger contre les risques de l'endettement personnel. Imaginez s'il laissait faire les banques: un consommateur inconscient pourrait en profiter pour renégocier à la baisse le coût de son hypothèque. Un autre pourrait même s'acheter une maison pour améliorer sa qualité de vie et celle de sa famille. Inacceptable! Pour vous protéger contre vous-même, le bon ministre invite donc les institutions financières à vous voler... pour votre bien. De toute façon, c'est connu, les banques canadiennes ne font pratiquement aucun profit. La logique « Flahertyenne» est redoutable: il déplore l'endettement des ménages, mais il veut que les banques se cartellisent pour vous étrangler davantage. Si le ridicule tuait les politiciens, on tiendrait des funérailles nationales chaque semaine.

Pierre Simard

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital



INCOHÉRENCE

Après la bière, l'essence et le lait, les Québécois ont maintenant un prix plancher pour les taux d'intérêt hypothécaires! Non seulement l'intervention du ministre des Finances est-elle mal placée et inconvenante, mais elle est aussi incohérente.  Tout en se disant en faveur de la concurrence et du libre marché, ce gouvernement a instauré le crédit d'impôt pour l'achat d'une première habitation pour aider les Canadiens à défrayer un tel achat. Puis il intervient pour implanter un prix minimum complètement arbitraire à deux des centaines de fournisseurs de prêts hypothécaires canadiens !  Maxime Bernier a bien raison : c'est au marché libre de fixer les taux.  M. Flaherty devrait non seulement se garder une petite gêne, mais il devrait aussi poursuivre avec plus de vigueur ses efforts de réforme de la SCHL, une petite bombe à retardement de 600 milliards de dollars qui pend au bout du nez des contribuables et qui a pour effet, tout comme le taux directeur artificiellement bas de la Banque du Canada, de créer des distorsions dans le marché et d'encourager la création d'une bulle immobilière qui, inévitablement, devra éventuellement se dégonfler.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.



COMMISSAIRE SOVIÉTIQUE

Il est absolument surréaliste que le ministre des Finances du Canada, aux dernières nouvelles un pays dont le succès économique repose sur l'initiative d'entreprises privées et d'individus libres, en soit rendu à vouloir dicter les offres de taux hypothécaires faites par les banques. Si l'institution financière juge qu'il est dans son intérêt de proposer à ses clients un taux hypothécaire très bas, pourquoi devrait-on l'en empêcher? Pour reprendre l'expression du néo-démocrate Thomas Mulcair, qui a vertement critiqué l'ingérence du ministre, c'est digne d'une « république de bananes ». Maintenant, si Jim Flaherty craint l'éclatement d'une bulle immobilière et est préoccupé par le taux d'endettement des ménages, il doit reconnaître que ce sont les résultats des interventions des entités gouvernementales comme la Banque du Canada et la SCHL. Jouer le rôle du commissaire soviétique pour ajouter (encore) des règlements pour dire aux banques comment mener leur entreprise ne changera rien à la racine du problème.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



INGÉRENCE

Si je ne m'abuse, les banques sont sous juridiction fédérale au Canada. Mais ce simple fait ne donne pas le droit à l'État de sermonner les institutions financières qui sont des entreprises privées cotées en Bourse. La libre entreprise encourage la concurrence et, au bout du compte, le consommateur ne peut qu'en bénéficier. De quel droit le ministre Flaherty peut-il s'ingérer dans un domaine où les consommateurs sont perdants sur toute la ligne? S'il veut s'attirer la sympathie de ses concitoyens, Jim Flaherty devrait plutôt déposer un projet de loi interdisant aux banques l'imposition de frais de toutes sortes, considérés abusifs par la plupart d'entre nous. Les prêts personnels et hypothécaires, les cartes de crédit et les produits financiers sont assez rentables pour que les frais pour un retrait ou chèque, par exemple, puissent facilement être abolis sans que les actionnaires en souffrent outre mesure. Si Jim Flaherty est contre la concurrence entre les banquiers, est-ce donc a dire qu'il est en faveur des agissements des grandes pétrolières qui affichent toutes les mêmes prix, au dixième de cent près à la pompe et ne semblent pas connaître la définition du mot concurrence?

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



INTERVENTIONNISME PRÉVENTIF

La vigilance du ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, aura permis aux Canadiens de passer à travers la crise économique actuelle sans trop de dommages, du moins jusqu'à maintenant. Que M. Flaherty veuille équilibrer le budget fédéral, c'est tout à fait normal par les temps qui courent. Les Canadiens ne veulent pas vivre le cauchemar de certains pays de la communauté européenne, pas plus qu'ils n'envient la situation qui prévaut actuellement chez notre voisin du sud, qui n'arrive pas à juguler son énorme déficit annuel. Prenons à témoin le taux de chômage. Au Canada, il est de 7% (7,4% au Québec), alors que dans la zone euro, ce taux est de 12%, pour grimper au pourtour de 25% dans les pays les plus touchés. Aux États-Unis, ce taux flirte avec les 8%. Pendant ce temps, la gourmandise des banques qui ne cessent d'engranger semestre après semestre des profits mirobolants, qui n'ont aucune honte à accorder d'énormes bonus à leurs principaux dirigeants et qui se soucient peu du petit épargnant, lequel peine pour sa part à joindre les deux bouts, militent en faveur d'une certaine forme d'ingérence étatique. Pour que nos riches banquiers ne se mettent pas à jouer à la vierge offensée, disons simplement que le ministre Flaherty pratique un interventionnisme préventif.

Jean Gouin

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption



DIFFICILE À CROIRE

Absolument ! C'est difficile à croire qu'un ministre conservateur se place en position de contrevenir à la libre concurrence que préconise pourtant vivement le gouvernement Harper dans ses politiques commerciales, autant domestiques qu'étrangères. Le secteur bancaire représente, on le sait, un pan majeur du système boursier canadien et j'ose espérer que c'est pour soutenir l'ensemble de l'économie canadienne (en prévenant une baisse marquée du TSX) que le ministre Flaherty a agi ainsi. Si c'est pour ménager les « pauvres » banques qui pourraient voir leurs profits records fondre (au grand plaisir de tous sauf leurs actionnaires...), ce sera un scandale de plus qui affligera la classe politique tout entière, comme si on n'en avait pas déjà assez. Il faudrait que les motifs justifiant cette surprenante intervention soient rendus publics, et ce, à très court terme, afin de réduire la portée du geste. Il ne faut pas oublier que la base conservatrice est allergique au concept d'État providence (Nanny state). Pour sauver la face, Flaherty devra s'expliquer ou faire volte-face.