La remise en liberté de Guy Turcotte vous indispose-t-elle? Craignez-vous qu'elle nuise à la crédibilité de notre système judiciaire auprès de la population?

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP, à Québec.



EXPLIQUEZ-NOUS



L'affaire Turcotte a plongé la population dans la consternation et embarrassé la justice. Quatre ans après avoir poignardé à mort ses deux enfants, et un an et demi après avoir reçu un verdict de non-responsabilité criminelle, Guy Turcotte est maintenant en liberté. Justice a-t-elle été rendue? On dit que la justice est infaillible. Peut-être. Mais l'affaire Turcotte donne l'impression d'une grande injustice. Interviewé dans le cadre de cette affaire, le juge Wagner de la Cour suprême souligne que « si la justice est critiquée sans être expliquée correctement, sa crédibilité risque d'être minée ». Eh bien, monsieur le juge, elle est minée. Alors, expliquez-nous. Comment se fait-il que deux enfants soient morts et que ce soit la faute de personne? Qu'est-ce que le jury a vu qu'on n'a pas vu? Qu'est-ce que les psychiatres ont compris que le simple citoyen ne peut comprendre? Et si c'est la faute de la démence, ne devrait-on pas poursuivre le dément, accuser le dément, condamner le dément... ou au moins, guérir le dément? Je sais, la démence a le dos large, mais 46 coups de couteau quand même...

Pierre Simard

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette.



RÉHABILITER, NON PUNIR



Notre système judiciaire est le meilleur qui soit, car il permet la réhabilitation au lieu de la punition. Lorsque j'entends les gens dire qu'au Québec, la justice ne tient pas compte des victimes, parce qu'elle favorise la réhabilitation des criminels, je me demande quel rapport il y a entre les deux. En quoi la punition favorise-t-elle une plus grande justice envers les victimes? Celles-ci ne sont malheureusement plus là pour le dire. La punition ne satisfait que l'instinct de vengeance qui dort en chacun de nous. Dans une société évoluée comme la nôtre, il faut dépasser ce stade primitif de la loi du Talion : « oeil pour oeil, dent pour dent »; sinon, on risque tous, un jour ou l'autre, d'être borgne ou édenté. Heureusement, la justice québécoise a enfin compris la fragilité de la nature humaine et elle vient de l'exprimer à travers le Comité d'examen des troubles mentaux.

Raymond Gravel

Francine Laplante

Femme d'affaires.



QUEL MONDE DE FOUS!



La très grande leçon que j'ai tirée de toute l'histoire Turcotte, c'est que la manipulation est une arme puissante et destructive. Guy Turcotte est, selon moi, le plus grand manipulateur que la Terre ait connu. Un manipulateur brillant qui a réussi à contourner le système judiciaire de tout un pays. Guy Turcotte a déclaré hier : «Où je suis rendu dans mon deuil, ce n'est plus aussi difficile ou pénible qu'avant de penser à ça...» Désolée, mais même si ce ne sont pas mes enfants qui ont été tués, c'est toujours avec douleur que je repense à leur triste sort, c'est encore très pénible de penser qu'il a donné un total de 46 coups de couteau à ses deux enfants. Guy Turcotte est un monstre en liberté et personne ne trouvera les mots justes pour réussir à modifier mon opinion. Que l'on ne vienne surtout pas répéter que la justice a suivi son cours! Parce que si la justice a bien suivi son cours, il faut s'empresser de modifier notre système de justice et nos lois! N'oublions pas qu'il y a deux victimes et un coupable et que les deux victimes sont privées à jamais de leur liberté de vivre alors que le meurtrier se promène tranquillement dans les rues. Quel monde de fous!

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



PERTE DE CONFIANCE



La remise en liberté de Guy Turcotte sous certaines conditions semble indisposer beaucoup de gens et cela peut se comprendre. Le crime qu'a commis Guy Turcotte était sordide mais, au terme de son premier procès, il a été acquitté pour cause de maladie mentale. La population en général aurait voulu qu'il en soit autrement. Elle crie vengeance au nom des enfants d'Isabelle Gaston et de Guy Turcotte, mais elle ne peut se substituer en juge et partie à la fois. Il appartiendra maintenant à la Cour d'appel de se prononcer sur le jugement de première instance. Dans un autre ordre d'idées, les médecins psychiatres qui ont évalué Guy Turcotte sont unanimes à dire que celui-ci ne représente plus un danger à court et moyen terme pour la population. Ces médecins sont reconnus comme des experts dans leur domaine et je ne vois pas pourquoi l'on ne respecterait pas leur opinion. Guy Turcotte a été évalué sous toutes ses coutures pendant quatre ans. Aujourd'hui, le Comité des examens des troubles mentaux donne son aval à une libération conditionnelle, selon les normes convenues. La population est sous le choc et, là où le bât blesse, c'est la perte de confiance que pourrait avoir cette dernière envers ses institutions et les experts qui les composent. La magistrature et la profession médicale devront s'expliquer davantage.

Jean Gouin

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO.



BIEN INFORMER POUR ÊTRE CRÉDIBLE



Il est certain que plusieurs citoyens canadiens ont de la difficulté à comprendre à la fois le jugement redu lors du procès de Guy Turcotte et sa remise en liberté. Pour un bon nombre de ceux-ci, cela va entraîner une baisse dans leur confiance envers le système judiciaire canadien lié au droit criminel. Le gouvernement canadien, qui est responsable de ce système, a le devoir de bien expliquer aux Canadiens ses principes, ses lois et son fonctionnement.  La crédibilité en ce système est une importante composante de son efficacité.  Dans ce dossier, le gouvernement fédéral aurait dû être beaucoup plus présent sur la scène publique pour expliquer le jugement rendu et pour expliquer ses suites.  Ceci aurait certes aidé à faire en sorte que la remise en liberté soit mieux comprise et que le système judiciaire soit plus crédible aujourd'hui. Je me demande si le manque d'effort du gouvernement  pour bien expliquer au public les raisons de ces décisions ne seraient pas liées au désir du gouvernement Harper de resserrer les pénalités dans le cas de crimes commis par des personnes qui sont jugées par la suite comme n'étant pas criminellement responsables.

Jean-Pierre Aubry

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



LE BON CHOIX?



Comme une grande majorité de citoyens, la libération de Guy Turcotte m'indispose et me laisse perplexe face à notre système judiciaire. L'ex-cardiologue a admis avoir tué ses deux enfants mais il a été jugé par ses pairs comme étant non criminellement responsable de cet acte inexplicable. À moins que Turcotte passe aux aveux un jour, jamais nous ne saurons vraiment si ces meurtres étaient l'oeuvre d'un tueur ayant prémédité ou non ses gestes. Je ne souhaite aucun mal à cet homme, mais j'espère ne jamais croiser son chemin, car je ne peut prédire ma réaction à son égard. Lors du procès certains faits m'ont porté à croire que Guy Turcotte aurait possiblement prémédité les meurtres de ses enfants. Il a été révélé, entre autres que le père des deux jeunes enfants aurait tenté de se suicider en avalant du lave-vitres. Or comment expliquer qu'un professionnel de la santé, avec la multitude de moyens mis à sa disposition fasse le choix d'attenter à sa vie en ingurgitant une substance qui n'est que très rarement mortelle? Qui plus est, M. Turcotte avait semble t-il recherché sur internet les symptômes causés par la consommation de lave-vitres. La justice a choisi de lui rendre la liberté. Mais est-ce le bon choix pour autant?