Depuis 10 ans, la proportion de Québécois qui parlent français a glissé de 83% à 81%. Par contre, durant la même période, le pourcentage d'immigrants qui utilisent le français à la maison a grimpé de 5,2 à 8,7%. À la lumière de ces statistiques, y a-t-il lieu de renforcer la loi 101, comme le croit le gouvernement Marois?

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.



PAS DE PANIQUE... MAIS RESTONS VIGILANTS



Avec plus de 50 000 immigrants par année, surtout concentrés à Montréal, comment se surprendre que, en pourcentage, la part de la langue française et celle de la langue anglaise diminuent dans la population québécoise, surtout dans la région montréalaise? Ne soyons pas victimes de l'illusion statistique: en nombres absolus, il n'y a pas de diminution réelle. L'avenir cependant reste incertain et il faut être d'autant plus vigilant que le groupe qui croît le plus rapidement, celui des allophones, n'est pas encore vraiment orienté vers la majorité francophone. Il y a progrès, mais pas encore de manière définitive. Dans les circonstances, un resserrement de la Loi 101 pourrait être utile. Mais, à mon sens, le gros des efforts devrait être mis davantage sur l'application plus efficace de la loi actuelle que sur des amendements législatifs. De toute façon, ce n'est pas par la Loi 101 qu'on va réussir à faire du Québec un État français; cela, qu'on le veuille ou non, ne pourra véritablement se faire par la souveraineté du Québec. En attendant, soyons vigilants.


Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



ESPACE PUBLIC, ESPACE PRIVÉ



Il est entendu que le français doit dominer dans l'espace public. Il est souhaitable que les multinationales ajoutent un descriptif en français à leurs enseignes. Que l'on étende les dispositions de la loi 101 aux petites entreprises me semble louable. Mais que l'on s'énerve au sujet de la langue dont parlent les gens à la maison me sidère. À moins d'accepter uniquement les immigrants dont la langue maternelle est le français, il devient inévitable que la langue d'usage à la maison soit de plus en plus autre que le français. Pour un immigrant, discuter dans sa langue maternelle chez soi, c'est comme se mettre en pantoufles. Enfin, je peux me reposer la cervelle, soupire-t-il ! J'ai vécu cette situation deux fois. À Montréal, au début des années 1970, j'étudiais en français et je parlais le tchèque à la maison. Puis, aux États-Unis, après une journée de travail en anglais, je me détendais en français auprès de mon mari québécois. Si l'espace public se présente en français, si les gens s'instruisent et travaillent en français, où se trouve le problème si le français diminue autour des tables à manger privées? D'autant que le français devient de plus en plus la langue seconde des immigrants.

Photo fournie par Jana Havrankova

Jana Havrankova

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec.



UN PROBLÈME INEXISTANT



Le français décline-t-il au Québec? Pour certains analystes, le français fait des progrès; pour d'autres, il agonise. L'interprétation dépend du politicien, du média ou du journaliste qui analyse les données linguistiques du dernier recensement de Statistique Canada. En vérité, il est difficile de dire si le français se porte mieux ou s'il est pire qu'il y a dix ans. Or, c'est bien là le malheur de notre gouvernement provincial : s'il n'y a pas de problème avec la langue française, comment expliquer qu'on s'occupe à résoudre un problème inexistant? Que faire avec les multiples solutions proposées pour résoudre ce soi-disant problème national? Comment justifier un renforcement de la loi 101 ou l'obligation du cégep en français lorsque la catastrophe annoncée tarde à se manifester? Eh bien, si ça prend un problème, créons un problème! Comme ça, en offrant des solutions à un problème qui n'existe pas, on réussira à créer de nouveaux problèmes qui appelleront de nouvelles solutions. Des solutions qui ne manqueront pas de conduire à des problèmes encore plus grands qui, chaque fois, devront être résolus par de nouveaux impôts ou des contraintes aux libertés individuelles. Bref, les problèmes, nos politiciens s'en occupent...

Pierre Simard

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



MIEUX ENCADRER LES IMMIGRANTS



Plutôt que de renforcer la loi 101, je crois que le Québec devrait mieux encadrer et informer les nouveaux arrivants en soulignant l'importance de la langue officielle du Québec, le français. Notre système d'éducation devrait aussi  mettre l'épaule à la roue en insistant sur l'importance du fait français. C'est une chose de parler français, mais encore faut-il bien le parler. Plus troublant encore le français écrit, bien écrit devrais-je dire, semble être en nette régression et ce non seulement pour les immigrants, mais aussi chez les Québécois de souche. À mon humble avis, la loi 101 ne nécessite pas de grands aménagements. Il faudrait plutôt mettre l'accent sur l'enseignement de l'histoire du Québec afin que chacun d'entre nous comprenne d'où nous venons et vers quoi nous voulons aller, tout en encadrant mieux nos élèves pour qu'ils parlent et écrivent un français de qualité. Cela dit, il est tout de même encouragent de constater que la proportion de Québécois, toutes nationalités confondues, parlant français à la maison, est en nette progression.