Au cours des derniers mois, les rivalités entre gangs de rue à Toronto ont donné lieu à des fusillades dans des lieux publics. Afin de mettre un terme à ces incidents, plusieurs solutions sont proposées, allant de programmes sociaux plus généreux à des lois criminelles plus sévères. À votre avis, comment les grandes villes peuvent-elles diminuer l'emprise des gangs de rue sur certains quartiers? Comment éviter que des innocents soient victimes des conflits entre ces groupes?

Jean Gouin

Directeur général, Fédération des médecins résidents du Québec.

Big Brother

Il n'y aura jamais de loi assez sévère pour enrayer totalement la criminalité qui sévit au sein, par et entre les gangs de rue. Tout comme les ressources qui sont et seront investies dans les programmes sociaux ne seront jamais assez généreuses. On démantèle un réseau et, peu de temps après, ce dernier sera remplacé par un concurrent qui, tapi dans l 'ombre de son quartier, attendait le moment opportun pour le remplacer, la nature ayant horreur du vide. Les gangs de rue ont développé une certaine expertise en diverses matières qui leur permet de survivre à des affrontements et à des démantèlements que l'on croyait totaux. Ces gangs ont la vie dure mais, devant plus fort que soi, on a tendance à se replier et à attendre le moment opportun pour reprendre du service. Les policiers savent où les gangs de rue logent et seule une pression de tous les instants de la part des corps policiers peut limiter les dégâts. Peut-être nous faudrait-il créer une escouade entièrement spécialisée en gangs de rue, escouade qui pourrait interagir à plusieurs niveaux : préventif, social, criminel et sur les plans de la réinsertion et du suivi actif des membres connus et présumés. Il faut que tous ceux qui appartiennent à ces gangs se sentent épiés sur une base quotidienne. C'est une question de sécurité citoyenne. À nos politiciens d'agir!

Jean Gouin

Francine Laplante

Femme d'affaires et mère de cinq enfants.

Commençons par le commencement

Le problème est complexe. Les gangs de rue ne se contentent plus de recruter simplement dans les quartiers défavorisés, ils se permettent d'arpenter les quartiers huppés et se servent de leur pouvoir de persuasion pour attirer les plus vulnérables dans leur sphère d'activité. Certes, nous pouvons allouer encore plus d'argent pour contrer ces criminels notoires et augmenter la sévérité des lois, mais je reste persuadée que ce sont d'abord et avant tout les parents qui ont un rôle de premier plan à jouer. Ces jeunes qui forment les gangs de rue, ces adolescents qui sont recrutés, pourquoi sont-ils dans la rue? Pourquoi sont-ils laissés à eux-mêmes? Le dérapage est à la base dans l'encadrement familial : on ne vient pas au monde membre d'une gang de rue! Commençons par le commencement : comme parents, occupons-nous de nos enfants, par la suite, en tant que société, essayons de contrer la pauvreté et de prôner l'équilibre familial. Chaque jeune qui tombe entre les mains de ces gangs est une victime directe. Malgré cette situation alarmante qui touche directement notre jeunesse, je vous parie qu'en aucun moment nous n'en entendrons parler lors de la prochaine campagne électorale! Depuis quand la sécurité et l'avenir des enfants et des adolescents sont-ils une priorité?

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.

Prévention, dépistage, punition

Pour prévenir l'apparition des gangs de rue, il faut offrir aux jeunes, en particulier à ceux des milieux défavorisés, où ces gangs sévissent de préférence, des activités stimulantes. Celles-ci rempliront leurs temps libres et les fatigueront assez pour qu'ils ne pensent pas à faire du grabuge. Les clubs sportifs et artistiques devraient être encouragés et financés par l'État. Il faudrait aussi accorder plus de confiance à la police lorsqu'elle tente de dépister et de mater les membres des gangs. Il s'avère contre-productif de taxer les policiers automatiquement du profilage racial quand ils se pointent dans des quartiers à risque pour serrer la vis aux membres des gangs. La police devrait bien sûr être entraînée pour commettre le moins de bavures possible pour non seulement diminuer le risque pour des personnes innocentes, mais aussi pour conserver la confiance des citoyens. Les peines sévères, assorties de l'obligation de travailler et de s'instruire, devraient attendre les membres des gangs de rue qui ont commis un crime, quel que soit leur âge. Je crois que l'on a trop tendance à accuser « la société » des crimes perpétrés par des délinquants en excusant ainsi en partie certains criminels. Vaut mieux prévenir que punir toutefois!

Jana Havrankova

Jean-Pierre Aubry

Économiste.

Développer ses talents

Ma réponse à cette question est la même que celle liée au décrochage scolaire. Nos administrations publiques doivent investir plus et mieux dans l'éducation et la formation des plus jeunes, dans le système des garderies et dans le système scolaire allant de la maternelle au secondaire.  Il faut mettre en place un système intégré qui valorise et développe une plus grande variété de talents, qui fait plus de place aux activités manuelles, sportives et artistiques et surtout qui ne laisse pas les jeunes qui ont des difficultés d'apprentissage prendre un trop grand retard.  Les municipalités ont un rôle important à jouer dans ce système, en offrant à un prix raisonnable l'utilisation d'infrastructures collectives avec des équipements appropriés et des animateurs compétents (parcs, centres sportifs, centres artistiques, bibliothèque...). Il faut également que notre société valorise davantage le rôle des parents, des éducateurs et des animateurs d'activités pour les jeunes. Ces dépenses, quand elles sont bien faites, sont un investissement collectif qui devrait permettre de réduire la criminalité chez les jeunes et de hausser le bien-être de l'ensemble de la population.  Les gestionnaires des administrations publiques ont trop tendance dans ce domaine à penser "dépenses" plutôt qu' "investissement", à gérer sur un trop court horizon et à segmenter des catégories de services publics qui sont fortement reliées entre elles.

Jean-Pierre Aubry