Pour la première fois au Québec, un hôpital a dû se débrouiller sans pharmacien pendant une journée. Deux cent soixante-quinze postes de pharmacien sont vacants dans le réseau hospitalier. Les étudiants finissants en pharmacie ne se bousculent pas pour postuler. Le salaire au sommet de l'échelle est plus bas en milieu hospitalier que le salaire de départ dans le privé. Les négociations achoppent toujours entre le gouvernement et les 1500 pharmaciens d'hôpitaux, sans contrat de travail depuis deux ans. Comment devrait réagir le gouvernement pour régler la pénurie ? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc., ex-PDG de la SAQ et de Loto-Québec



AUGMENTATIONS SUBSTANTIELLES



La grande majorité des pharmaciens travaillent dans le secteur privé où ils sont à la fois des professionnels de la santé et des commerçants. Cela leur donne un statut pas mal différent des autres professionnels de la santé en ce sens qu'ils sont sujets à la loi non écrite de l'offre et de la demande. D'une part, les pharmaciens propriétaires peuvent aujourd'hui vendre leur pharmacie sur la base d'un montant par prescription qui les rend multimillionnaire instantanément et, d'autre part, les pharmaciens salariés obtiennent des tarifs horaires qui rendent rouges d'envie de nombreux professionnels du milieu des affaires. Dans ce contexte, il est totalement ridicule pour le gouvernement d'essayer de remplir les 275 postes vacants de pharmaciens dans le réseau hospitalier sans leur offrir un salaire égal à ce qui est payé aux pharmaciens qui exercent leur profession dans le privé. La pénurie de pharmaciens existant déjà dans le privé, il est évident que toute solution passe par des augmentations substantielles dans le milieu hospitalier.

Gaétan Frigon

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



UNE SITUATION QUI A ASSEZ POURRI



Il fallait que ça arrive un jour. Le gouvernement est passé maître dans l'art de laisser pourrir les situations pour se donner l'avantage sur le terrain dans le domaine de la négociation. Les exemples abondent en relations de travail, surtout avec les groupes qui ont à négocier avec le gouvernement. Le conflit avec les étudiants en est un exemple éloquent. Le gouvernement utilise la technique de l'essoufflement et cette technique peut porter à conséquences. Il se referme comme une huître. Il ne veut tout simplement rien savoir. Dans le cas des pharmaciens d'hôpitaux, la concurrence est beaucoup plus forte. Le privé offre de meilleures conditions salariales et le gouvernement ne peut pas se surprendre que les postes en établissement soient boudés. Mieux vaut être pharmacien dépanneur. C'est payant et ces derniers bénéficient en plus de frais d'hébergement et de déplacement. Il serait temps que le gouvernement offre des conditions de travail aux pharmaciens d'hôpitaux qui supplanteront celles du secteur privé. L'autre solution, c'est de former davantage de pharmaciens afin d'investir le marché. Là, le gouvernement aura l'avantage. Entre-temps, il devra céder et ouvrir le jeu, s'il ne veut pas se retrouver avec un autre problème majeur. En bout de piste, il n'aura que lui à blâmer.

Jean Gouin

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



CESSER DE PARLER

Il est tout à fait normal que les pharmaciens, surtout les jeunes étudiants de dernière année, ne démontrent pas d'intérêt a travailler pour le réseau public de santé. Pourquoi un jeune irait-il travailler à 31$ l'heure alors que le privé lui en offre presque le double en commençant? Les pharmaciens en établissements publics dénoncent cette pénurie depuis des années. Tout comme le fait la FIQ pour la pénurie d'infirmières. Une fois de plus, l'immobilisme de Québec et plus particulièrement de la part du ministre de la Santé Yves Bolduc ne fait qu'aggraver la situation. Il me semble évident que la cause principale de cette pénurie soit le salaire et probablement aussi les conditions de travail. Le ministre doit cesser de parler et agir avant que des situations graves ne surviennent. Un hôpital ne peut voir sa pharmacie être exploitée par un technicien. Malgré toute la bonne volonté du monde, le technicien en pharmacie risque de compromettre la santé des patients. Chaque intervenant est formé dans sa discipline. Serait-il acceptable que moi, en tant que préposé aux bénéficiaires, soit contraint à cause de la pénurie d'infirmières et d'infirmières auxiliaires, d'installer un soluté à un patient? Non. Pas plus d'ailleurs qu'un technicien en pharmacie qui prépare des ordonnances sans être en mesure de répondre aux questions des intervenants concernant un médicament. Yves Bolduc qui, rappelons-nous, fait partie d'un gouvernement élu en partie grâce à ses nombreuses promesses concernant le réseau de la santé doit agir dans les plus brefs délais afin de mettre un terme à cette autre pénurie de personnel qualifié qui met nos vies en danger. Et ce malgré le fait que le gouvernement Charest ne semble pas très enclin a négocier ces temps-ci. Il y va de notre sécurité à tous!

Jean Bottari

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée

SYSTÈME SOVIÉTIQUE

Avez-vous déjà remarqué que dans le privé, il n'y a jamais de pénurie? Avez-vous déjà vu une pénurie de dentistes ou d'optométristes pratiquant en clinique privée ou de pharmaciens chez Jean Coutu? Évidemment pas, car le marché, laissé à lui-même, « s'autoréglemente » et atteint rapidement un juste équilibre entre l'offre et la demande. Mais quand l'État se pense plus intelligent que le marché en fixant les prix, tout dérape et on peut être certain d'une chose : il y aura soit pénurie (prix trop bas - par exemple, si on fixe le prix d'un pharmacien exerçant à l'hôpital à la moitié de ce que le marché l'exige) ou soit un excès (prix trop haut - par exemple quand les fonctionnaires établissent le prix des oeufs ou du lait au-delà du prix du marché dans le but de plaire aux syndicats agricoles). Qui a oublié les files d'attente iconiques et les constantes pénuries du système communiste soviétique? Eh bien, c'est exactement ce que nous avons importé dans notre système de santé soviétique québécois! L'absence du signal que constituent les prix mène toujours à un déséquilibre. Aucun ministre de la Santé, si futé soit-il, ne peut espérer se substituer à ce mécanisme essentiel.

Adrien Pouliot

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



MOINS DE QUALITÉ ET PLUS DE RISQUES



Le gouvernement sait quoi faire. Il doit offrir à moyen et long terme des salaires qui sont concurrentiels avec ceux du marché. S'il ne le fait pas, la qualité des soins diminuera à cause du manque de personnel compétent et les risques liés à des erreurs de médicaments augmenteront. Compte tenu du nombre de postes vacants de pharmaciens (275), on ne fait pas face à un problème temporaire ou lié à la malchance. On fait face à un problème systémique qu'on a laissé s'amplifier. Certes mesures temporaires sont prises lors de tels épisodes pour empêcher une réduction de la qualité des soins et les erreurs de médicaments, mais au bout du compte, ces mesures ne peuvent compenser pour le manque de personnel, surtout quand ces épisodes se multiplient. Le système public de santé semble fonctionner constamment dans un environnement marqué par de telles pénuries. De plus, avec les restrictions budgétaires qui seront de plus en plus contraignantes et le vieillissement de la population, les pénuries de personnel devraient être de plus en plus nombreuses. Cette situation semble paradoxale en cette période où on construit de grands hôpitaux universitaires ultramodernes. Aurons-nous les moyens financiers et le personnel pour les exploiter?

Jean-Pierre Aubry

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



POURQUOI EN MANQUE-T-ON?



Avant de proposer un remède au manque de pharmaciens dans les hôpitaux, un bon diagnostic s'impose. Y a-t-il une pénurie de pharmaciens en général? Il conviendrait alors d'augmenter le nombre d'étudiants en pharmacie. Les tâches plus difficiles à l'hôpital rebutent-elles les jeunes diplômés? Il faudrait alors leur assurer un encadrement adéquat et adapté aux divers hôpitaux par les pharmaciens plus expérimentés. À l'hôpital, les pharmaciens rencontrent généralement les malades avec des pathologies multiples, complexes et évolutives. Plusieurs intervenants se relayent auprès de chaque patient et modifient les prescriptions que le pharmacien doit coordonner. Ainsi, il me semble un peu court d'attribuer le manque des pharmaciens hospitaliers seulement à leurs revenus moindres. De prime abord, on peut en effet se demander : pourquoi un pharmacien travaillerait-il à 37 $ l'heure à l'hôpital s'il peut faire un travail en général moins exigeant en pharmacie pour 51 $ l'heure? Mais qu'en est-il des avantages sociaux, des vacances payées, des cotisations en vue de retraite, de la sécurité d'emploi? Ce n'est qu'après avoir analysé tous les obstacles au recrutement et comptabilisé les revenus globaux de diverses catégories de pharmaciens que l'on pourra proposer des solutions appropriées.

Jana Havrankova

François Bonnardel

Député caquiste de Shefford

LE MINISTRE SE TRAÎNE LES PIEDS

Selon des données publiées en mars 2012 par le ministère de la Santé dans les crédits 2012-2013, en date du 31 mars 2011, il y a 1427 pharmaciens en emploi dans le réseau de santé et il en manque 147 pour combler les besoins, soit 11 % des effectifs. Il y aurait aujourd'hui 275 postes vacants. C'est donc dire que la situation s'est dégradée. Or, en comparaison avec d'autres types d'emploi dans le réseau, soins infirmiers (4%), réadaptation (6%), services sociaux (6%), ce sont chez les pharmaciens que l'on retrouve le plus grand besoin de main-d'oeuvre. De plus, le recours à la main-d'oeuvre indépendante chez les pharmaciens a coûté 12 millions en 2010-2011 comparativement à 6 millions en 2007-2008, soit une augmentation de pratiquement 100%. Les pharmaciens ont un rôle central dans les hôpitaux, notamment ces temps-ci avec la pénurie de médicaments. Comment se fait-il qu'aucun pharmacien n'était présent le 5 avril à l'hôpital de Sainte-Anne-des-Monts alors que le problème pouvait être anticipé depuis le mois de mars ? Dans ce dossier comme dans d'autres, le ministre se traîne les pieds. Le gouvernement libéral est tout simplement incapable de livrer la marchandise. Il est temps de passer à un autre appel.

François Bonnardel

Agnès Maltais

Députée péquiste de Taschereau et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé

DES SOLUTIONS

Pour lutter contre la pénurie de pharmaciens d'établissements, il y a certains gestes qui pourraient être faits. Le premier est la question de la rémunération. Pourquoi un étudiant choisirait-il de faire une maîtrise pour devenir un pharmacien d'établissement alors qu'il peut gagner davantage avec un bacc. en travaillant dans une pharmacie communautaire? Voilà un problème auquel nous devons trouver une solution acceptable pour tous. Le second geste à faire est de développer une spécialité en pharmacie d'établissement. Ce concept de spécialité donnerait du lustre à cette importante profession et refléterait davantage la pratique de la pharmacie d'établissement. Soulignons que sans les pharmaciens d'établissements, il serait difficile, voire impossible, de préparer les protocoles de chimiothérapie. On devrait envisager de rehausser la formation des assistants techniques en pharmacie afin que les pharmaciens puissent leur déléguer davantage d'actes aux assistants techniques. Nous pourrions libérer ainsi du temps pour les pharmaciens d'établissement. Enfin, il faudrait tenir une campagne de promotion de cette profession. Cette année, il y a à peine une cinquantaine d'étudiants qui ont choisi de poursuivre à la maîtrise en pharmacie. Pourtant, il y a au moins 275 postes de pharmaciens d'établissements qui sont vacants. On doit agir et rapidement.

Agnès Maltais