Comme société, quelles leçons devons-nous tirer de la crise étudiante qui a secoué le Québec depuis trois mois? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue



LA MOBILISATION EST POSSIBLE



Première leçon : les jeunes, qu'on croyait passifs, ont démontré qu'ils pouvaient se mobiliser. Du moins, autour d'un sujet qui les touche de près. Mais vont-ils s'intéresser à d'autres enjeux? Vont-ils aller voter, par exemple? Deuxièmement, laisser pourrir un conflit ne génère que des perdants : vieille leçon, hélas! souvent oubliée. Le gouvernement a perdu de sa crédibilité, déjà passablement amochée. Les étudiants n'ont pas eu de gain de cause : la hausse des droits de scolarité est maintenue. Une médiation efficace aurait dû intervenir beaucoup plus tôt, épargnant à tous un conflit enlisé et perturbant, dont l'issue finale demeure incertaine. Finalement, cette contestation s'est étendue à l'ensemble de l'oeuvre du gouvernement libéral, prouvant que la grève des étudiants sur les droits de scolarité constituait un symptôme d'un malaise plus profond. Ces contestataires, jeunes et moins jeunes, vont-ils se remobiliser pour obliger le gouvernement à expliquer aux citoyens leurs projets pour les ajuster au besoin? Les politiciens, qui répètent en choeur qu'ils désirent une population éduquée, ne devront pas se surprendre que celle-ci devient de plus en plus exigeante. Ils ne peuvent plus la traiter comme une entité négligeable, tout juste bonne à cocher sur le bulletin de vote aux quatre ans.



Jana Havrankova

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée



AVOIR UN PLAN B



Quand Margaret Thatcher a affronté les mineurs de charbon, elle a perdu la première bataille, car elle avait mal calculé la probabilité que le pays ne manque de charbon (et donc d'électricité). En préparation à la deuxième ronde, elle ordonna que des inventaires de deux ans de charbon soient constitués et dissimulés des regards des syndicats. La grève des mineurs se termina deux ans moins une semaine plus tard par la capitulation totale des syndicats. Tout gouvernement québécois qui désire affronter les forces vives de l'immobilisme doit donc se préparer au pire, comprendre le rapport de forces des parties et avoir un plan « B ».  J'espère, par exemple, que le gouvernement a déjà réfléchi à la stratégie à adopter si une minorité importante ou même si une majorité d'étudiants (probablement les plus militants) rejette l'offre.  Une autre leçon : le gouvernement doit « vendre » ses réformes au public. La cause de l'État a été grandement aidée non pas parce que l'État a su convaincre mais parce que les étudiants ont perdu la bataille de l'opinion publique à cause de la violence, de l'intimidation et du débordement idéologique des révolutionnaires de la CLASSE.



Adrien Pouliot

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal. Il s'exprime à titre personnel.



AUX AUTRES À PAYER



Cette crise a mis en lumière jusqu'à quel point l'observation de Frédéric Bastiat selon laquelle « l'État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde » est fondamentalement vraie. Elle a montré aussi jusqu'à quel point la culture québécoise est fondée sur cette mentalité. Je ne suis pas près d'oublier cet étudiant qui, cité dans un article de La Presse, disait : « Pourquoi je m'endetterais pour payer mes études? ». Et personne pour lui répondre : « Mais, justement, parce que ce sont tes études ». Il faut dire que les étudiants-manifestants sont loin d'être les seuls à penser ainsi. En effet, à peu près tout le monde au Québec, y compris pas mal de des gens d'affaires, à ce genre de réflexe. Ces jeunes ne sont que le fruit de leur société. Ils veulent la « justice sociale ». Lire : ils veulent que les autres assument le coût de leurs besoins et désirs.



Michel Kelly-Gagnon

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse



UNE MATURITÉ EXEMPLAIRE



Ne laissons plus jamais un conflit dégénérer comme celui-là. Voilà la leçon que nous devrions tirer de cette grève des étudiants qui dure depuis trois mois. En laissant les choses aller sans véritablement répondre à l'appel au dialogue des étudiants, le gouvernement a permis aux extrémistes de s'emparer des manifestations et de les détourner de leur sens de protestation pacifique. De plus, les positions se sont radicalisées, rendant de plus en plus difficile de trouver un terrain de discussion. Le gouffre s'est agrandi entre le gouvernement et les étudiants, mais il s'est également élargi entre les générations. À travers les prises de position des différents intervenants publiques, un discours condescendant envers les jeunes a vu le jour. Alors que les leaders étudiants ont démontré une maturité à toute épreuve sans personnaliser le débat, une partie de la population plus âgée s'en est prise aux individus et à leur personnalité. Ce sont les jeunes en général qui peuvent servir d'exemple dans l'art de bien argumenter sans utiliser des sophismes d'attaque contre la personne, de double faute, d'appel à l'autorité et bien d'autres. En fait, les étudiants ont peut-être démontré à travers ce conflit que notre système d'éducation actuel forme de citoyens responsables, solidaires et impliqués socialement.



Guy Ferland

Alain Vadeboncoeur

Médecin urgentologue



STRATÉGIE, DIRONT LES CYNIQUES

En début du conflit, le gouvernement et certains commentateurs ont minimisé la portée sociale du mouvement étudiant. Erreur, mais qui pouvait alors se comprendre : le bon sens reprendrait ses droits, puis on passerait à autre chose. Or le 22 mars, il s'est effectivement passé quelque chose : la plus grande manifestation de l'histoire du Québec, ce qui n'est pas rien, dans le calme et la bonne humeur. Silence radio de l'autre côté, pas même un doute. Bah : il faisait beau, ça leur passerait. Erreur, plus difficile à comprendre. Stratégie, diront les cyniques. Puis, un mois plus tard, autour du Palais des congrès, le ton monte, c'est la confrontation, la confusion, les arrestations. On essaie ensuite de briser la solidarité associative. Rien n'y fait. Bah : ils vont rentrer dès que la session sera menacée. Erreur. Stratégie, diront les cyniques. Quelques semaines plus tard, le ministre Bachand affirme que la ligne est tracée, qu'il n'y aura plus d'offres, qu'on se revoit aux élections. Tout un timing : le lendemain, début du congrès du PLQ, déplacé à Victoriaville. Foire d'empoigne, manifestants entre la vie et la mort, confusion, désolation. Tout ça pour quoi? Serait-ce pour cliver les étudiants, la population, la solidarité et les institutions d'enseignement? Le résultat ne surprend pas les cyniques: remontée du PLQ dans les sondages. Puis, la négociation blitz de la dernière chance, qui aurait dû arriver deux mois plus tôt, accouche d'une entente boiteuse, dont on se vante le lendemain sur tous les toits. Et rejet massif. Rien n'est réglé, mais de grandes leçons, déjà. D'abord, l'avenir est assuré: cette jeunesse intelligente, cohérente et inspirante, que nous avions sous-estimée, s'est véritablement révélée et nous transformera un jour. La déception est de l'autre côté: gouverner, c'est rassembler, prendre du recul et de la hauteur, assurer la paix sociale et trouver des solutions aux crises; pas jouer sur les mots, tordre les concepts et planifier des astuces comptables compliquées. Ce qu'on attend depuis le début, mais qui n'arrive pas, n'arrivera plus. Stratégie, diront les cyniques. Et maintenant quoi? Des élections?

Dr Alain Vadeboncoeur

Nestor Turcotte

Retraité de l'enseignement collégial



CHACUN SON VOCABULAIRE

Confucius a dit : «Si tu veux faire une révolution, commence par écrire un bon dictionnaire.» Ou bien un excellent lexique ou un glossaire acceptable, afin que tout le monde s'entende sur le sens des mots. J'ai eu l'occasion d'assister à une des réunions de LA CLASSE. L'expression : «la démocratie étudiante» était sur toutes les lèvres et celle-ci était, selon les dires d'un cégépien, au-dessus de toutes les injonctions. Avant de sortir cet exercice long, fastidieux, démesuré, j'ai vu les jeunes exercer leur droit de vote (?). C'était hilarant ! Je retiens donc de cette crise qui n'est sans doute pas finie, notre incapacité à nous entendre sur le sens des mots utilisés dans notre société délabrée, centrée sur les seules valeurs matérielles. Chaque organisation sociale, politique, a maintenant son vocabulaire, l'impose, le torpille s'il le faut. Le but c'est faire accepter une option, faire progresser une lutte, dresser les groupes les uns contre les autres. On ne sait plus que c'est que le bien commun dans cette société où les groupes de pression font détourner les meilleures intentions des gouvernants, peu importe le parti au pouvoir. Il faut retenir de toute crise une chose : il n'y a pas de pire corruption que la corruption du meilleur. Et le meilleur dans l'homme, c'est la tête. Il ne suffit pas d'avoir une tête pleine de mots, il faut en savoir le sens et savoir comment les appliquer dans une société respectueuse des uns et des autres.



Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



POUVOIR ET PERSISTANCE

S'il y a une seule leçon a tirer de ce conflit, c'est sans aucun doute de ne jamais tenir pour acquis une décision gouvernementale, même si la population en générale en est en faveur. À travers cette saga, nous avons appris que le pouvoir et la persistance d'un groupe peuvent l'emporter sur la démocratie. En accord ou pas avec le boycottage étudiant et en condamnant la violence, force est d'admettre que nous avons en tant que société la possibilité de faire valoir notre opposition face à un gouvernement campé sur ses positions. Fait à noter aussi, l'entente signée par les associations étudiantes et le gouvernement Charest illustre ce que nous dénonçons en tant que société, soit la dilapidation de fonds publics. Certes, cette entente pourra faire en sorte que notre argent ou du moins une grande partie de celui-ci, soit dispensé afin de rendre des services directes aux étudiants. Si cette formule fonctionne, pourquoi ne pas l'étendre par exemple, à la totalité du réseau scolaire, au réseau de la santé et à tout organisme relevant du gouvernement? Nous serions ainsi en mesure de diriger les sommes accordées par le Conseil du trésor, donc vous et moi, aux bon endroits. Cessant du même coup le versement de primes de toutes sortes, le paiement de voyages «d'affaires» ainsi que tout autre avantage financier aux hauts gradés de la fonction publique. Prendre exemple sur les étudiants? Pourquoi pas?



Jean Bottari

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques



L'IMPACT D'UNE POIGNÉE DE DISSIDENTS

Il est peut-être un peu prématuré d'affirmer que cette période tumultueuse est maintenant terminée. Les votes n'ont pas encore été tenus et il n'est pas certain que les étudiants accepteront ce qui a été offert après 12 semaines perdues. On n'a qu'à lire ou écouter les nouvelles pour comprendre qu'il existe des factions contestataires de cette entente. Ce qui apparaît toutefois évident depuis plusieurs semaines est qu'une poignée de dissidents peut parfois remettre en question les fondements mêmes de notre société et de notre démocratie. Manifestations violentes, injonctions non respectées et intimidation ne sont que quelques tristes souvenirs de ce débat qui a largement débordé les 50 sous en plus que l'on demandait aux étudiants pour leur éducation post-secondaire. Comme je l'écrivais avant même que la « grève » ne commence, ce sont les étudiants qui avaient le plus à perdre. Si la confrontation prend effectivement fin en raison de l'entente, tous les étudiants, pour ou contre la grève, auront maintenant à rattraper le temps perdu, si cela est désormais encore possible. Il est rare que ceux qui font la grève en sortent gagnants. Celle des étudiants ne fait pas exception.



Denis Boucher

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne



LE QUÉBEC MÉRITE MIEUX



Dans  son premier discours en tant que président de la France, François Hollande a déclaré qu'il était le président de tous : «Aucun enfant de la république ne sera laissé de côté.» La société québécoise retiendra des récents affrontements que le gouvernement en poste n'est pas celui de tous, mais qu'il est au service de la mafia, de son électorat et des gens d'affaires. Jean Charest doit être tenu responsable de l'état de santé des jeunes qui ont été grièvement blessés par les  policiers. Il s'agit d'actes criminels. La leçon à tirer de cette crise est qu'un premier ministre qui reste sourd à 200 000 voix qui s'unissent pour demander un retour à la table des  négociations, qui ridiculise des manifestants en colère tout en s'adonnant à la corruption, n'a pas la légitimité nécessaire pour gouverner. Il devrait  avoir la décence de démissionner ou de déclencher des élections. Il est temps de redonner à la démocratie toute sa noblesse. Un gouvernement pour tous !

Caroline Moreno

François Bonnardel

Député de Shefford



MANQUE DE LEADERSHIP



Comme société, nous devons tirer des leçons de la crise étudiante qui a secoué le Québec au cours des dernières semaines. La première constatation que nous pouvons tirer est que le gouvernement a démontré un manque flagrant de leadership dans ce dossier. Pourquoi avoir attendu plus de 80 jours pour en arriver à cela? Après avoir laissé la situation pourrir pendant plus de 12 semaines, Jean Charest a fait appel aux syndicats pour finir par pelleter le problème par en avant. Le résultat net, c'est qu'en septembre, il n'y aura pas de véritable réinvestissement dans nos universités et les étudiants seront les premiers pénalisés parce que c'est la qualité de l'enseignement qui va souffrir de l'absence de nouvelles ressources. De l'aveu même des associations étudiantes, le débat n'est pas terminé. L'incapacité du premier ministre à gérer une crise risque de nous replonger dans un climat de confrontation d'ici quelques mois. Nous avons dit dès le départ de la crise que la solution passait par la qualité, l'accessibilité et la bonne gestion des universités. Aujourd'hui nous nous retrouvons avec une solution alambiquée qui risque de diminuer la qualité de nos universités et des services offerts aux étudiants.



François Bonnardel

Mélanie Dugré

Avocate



L'ORGUEIL, MAUVAIS CONSEILLER

D'emblée, il faut user de prudence en référant à cette crise comme un événement du passé puisque le vote des diverses associations étudiantes n'a pas encore été tenu et que certains représentants semblent maintenant répudier l'entente conclue avec le gouvernement. Présumant toutefois que ce litige sera résolu incessamment, force est d'abord de constater que le printemps érable aura accouché d'une souris et que le temps aura été un remède à bien des maux. Malheureusement, l'écoulement du temps, et des érables, a été coûteux et lourd de conséquences mais il aurait été impossible de conclure pareille entente dans les premiers jours du conflit. Le temps et l'usure auront fait couler la sève. Par ailleurs, le gouvernement aura tenu sa promesse initiale. Si certains adoucissements ont été ajoutés à la hausse des droits de scolarité, la mesure reste à l'agenda. Le résultat est susceptible de déplaire mais il témoigne néanmoins d'une cohérence certaine. Enfin, rappelons-nous que l'orgueil est un bien mauvais conseiller. Gouvernement et étudiants ont voulu sauver la face en se tirant mutuellement la barbichette, mais aucun d'entre eux ne sort gagnant de ce petit jeu. Voilà bien la preuve que derrière la cause et les principes, se terrent l'orgueil et l'ego des messagers.



Mélanie Dugré

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette



UNE SOLIDARITÉ REMARQUABLE

Ce que je retiens du conflit des étudiants avec le gouvernement Charest, c'est la solidarité des leaders étudiants qui ont su garder le cap, malgré tous les efforts mis en place par Charest pour les diviser. On peut ne pas être d'accord avec toutes leurs revendications, mais on ne peut que louer leur obstination à servir démocratiquement ceux et celles qu'ils représentent. Le gouvernement libéral a tenté de se servir de la cause étudiante pour se faire du capital politique. C'est honteux! Jusqu'à la dernière minute, on a cherché à discréditer la CLASSE et son représentant, sous prétexte qu'il favorisait la violence. Des courriels circulent qui montrent Dubois, fumant la cigarette et utilisant un cellulaire, afin de le démoniser aux yeux du public et le forcer à entrer dans le rang, pour régler une fois pour toute ce conflit qui a trop duré, mais dont le seul responsable est le premier ministre du Québec : Jean Charest. J'ose espérer que cette entente de principe concoctée par le gouvernement, les recteurs des universités et les centrales syndicales sera rejetée par les étudiants, car il s'agit là d'une démonstration hypocrite d'un gouvernement en phase terminale qui cherche désespérément à se faire réélire aux prochaines élections. Dans ce conflit, j'appuie complètement les étudiants et même s'ils doivent sacrifier leur session d'hiver, qu'ils le fassent! C'est une question de dignité pour eux et pour ceux qui les suivent. J'ai honte d'être dirigé par des femmes et des hommes qui sont prêts à sacrifier les jeunes pour se sauver la face...

Raymond Gravel