Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, promet que chaque Québécois pourra avoir accès à un médecin de famille d'ici 2016. Croyez-vous que sa promesse est réaliste, que le gouvernement a posé les gestes nécessaires pour y parvenir?

Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, promet que chaque Québécois pourra avoir accès à un médecin de famille d'ici 2016. Croyez-vous que sa promesse est réaliste, que le gouvernement a posé les gestes nécessaires pour y parvenir?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Alain Vadeboncoeur

Urgentologue.



POURQUOI PAS?



Il n'y a pas de magie: l'accès à un médecin de famille dépend du nombre de médecins disponibles, d'une organisation favorisant un suivi médical cohérent, basé sur des ententes professionnelles et la mise en place de groupes de médecine familiale (GMF), d'une bonne répartition géographique des médecins, d'un solide accès public et de la quantité de travail accomplie par chaque médecin. Or, justement, les cohortes majorées de formation médicale commencent à porter fruit; l'entente récente avec la FMOQ cible de manière assez précise la prise en charge et le suivi des patients; les GMF sont accréditées à un rythme acceptable; la répartition géographique est moins problématique, bien que toujours inégale. Alors pourquoi pas un médecin pour chaque Québécois en 2016? Restent deux questions essentielles, qu'il ne faut pas perdre de vue: d'abord, la nécessité de protéger l'accès public aux médecins de famille, de renverser le glissement actuel, poussant des médecins à quitter le réseau pour offrir plutôt leurs précieux services à ceux qui sortent leur portefeuille - ce qu'on présente parfois comme une solution mais qui n'est qu'une illusion d'optique, engendrant au contraire à chaque fois des patients orphelins; restons loin de ce modèle qui ne mène à rien de bon chez nous! Quant à la question touchant le temps de travail médical lui-même, à propos duquel le débat court, qui a la réponse? Les camps de la FMOQ et de la FMSQ se renvoient la balle, mais il demeure que nous évaluons et intégrons fort peu ce qui se fait en première ligne au Québec, une aberration vue son importance cruciale dans l'organisation des soins. Alors le ministre Bolduc ne réglera sans doute pas la question des urgences d'ici 2016, mais les mesures en cours depuis une dizaine d'années pour favoriser l'accès à un médecin de première ligne finiront par porter fruit, c'est ma prédiction. Et c'est tant mieux pour tout le monde.

Dr Alain Vadeboncoeur

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal. Il s'exprime à titre personnel.



PROMESSE IRRÉALISTE



Non, je ne crois pas que cette promesse soit réaliste. Ce commentaire n'est toutefois pas une critique envers le ministre Bolduc ou le gouvernement actuel, mais plutôt envers le système lui-même. En effet, depuis plusieurs décennies, les ministres de la Santé n'ont en général pas réussi à respecter les cibles qu'ils s'étaient fixées, peu importe leur allégeance politique. Qu'on pense par exemple à la ministre Thérèse Lavoie-Roux qui, dans les années 1980, avait promis de régler le problème des urgences au Québec avec l'injection de plusieurs millions de dollars... Or 30 ans plus tard, les Québécois attendent toujours. L'allocation des ressources dans un processus entièrement bureaucratisé est par définition quasi impossible et c'est pour cela que les pays d'Europe occidentale, y compris les pays scandinaves, favorisent tous des mécanismes de concurrence à l'intérieur de leurs systèmes publics de santé, et ce tout en maintenant par ailleurs l'universalité des soins. En ce sens, les réformes mises en oeuvre dans la région de Stockholm durant les années 1990 ainsi que celles amorcées en Allemagne depuis 2004 constituent des modèles dont le Québec devrait s'inspirer. D'ailleurs, beaucoup de ces nécessaires réformes peuvent être faites tout respectant la Loi canadienne de la santé.

Archives

Michel Kelly-Gagnon

Charles Dussault

Président de la Fédération des médecins résidents du Québec.



JOUER SA CARRIÈRE POLITIQUE



Il est à se demander si la bonne volonté de notre ministre sera suffisante pour assurer une telle croissance des effectifs médicaux en médecine familiale en si peu de temps. On peut en douter. Il est vrai qu'avec les cohortes actuelles, nous pourrions compter sur entre 1500 et 1800 nouveaux médecins de famille en 2016. Est-ce que ce sera suffisant pour contrer les départs à la retraite ou compenser la volonté de la profession médicale, jeunes et moins jeunes confondus, d'atteindre un équilibre travail-famille? Les cohortes de médecins en formation sont plus importantes. Nous en convenons. Mais n'oublions pas que tous les médecins de famille de 15 ans de pratique et moins doivent effectuer un minimum de 15 h en activités médicales particulières. Pour beaucoup, ces 15h s'étirent jusqu'à 25 h et en grande majorité, elles sont dispensées dans les centres hospitaliers. Et on ne parle pas ici de la surspécialisation des médecins de famille dans des créneaux spécifiques (gériatrie, obstétrique, santé mentale, etc.). J'ai plutôt l'impression que la sortie du ministre Bolduc s'apparente à une promesse électorale. On a l'impression que le ministre Bolduc joue sa carrière politique sur cet enjeu.

Archives La Presse

Charles Dussault

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.



MÉGASTRUCTURE TROP LOURDE



En campagne électorale en 2003, Jean Charest nous disait: au lendemain de l'élection d'un gouvernement du PLQ, nous réglerons les problèmes du réseau de la santé. Philippe Couillard a promis que nous aurions un médecin de famille pour chaque Québécois. Aujourd'hui, c'est Yves Bolduc qui se donne cinq ans pour octroyer un médecin à plus de 1 million de personnes qui n'en ont pas. Je n y crois tout simplement pas, car il faudrait aussi que le gouvernement aie le courage de réorganiser le réseau et répartir les tâches parmi les autres professionnels. Tous les intervenants du réseau savent que le vieillissement de la population ne fera qu'accroître la pression sur le réseau. Nos personnes âgées, sans médecin de famille, se retrouvent de façon régulière dans les salles d'urgence afin de faire renouveler des prescriptions. Le manque de généralistes fait donc en sorte que le système de santé en entier est engorgé et les intervenants sont épuisés. Il faudrait aussi que le gouvernement comprenne une fois pour toutes que nous, les intervenants, sommes des êtres humains qui soignons et réconfortons nos semblables dans un réseau qui semble ne pas tenir compte du facteur humain. Le médecin lui aussi se retrouve bien malgré lui pris dans ce dédale administratif et doit sans cesse rendre des comptes et remplir une quantité mirobolante de formulaires afin de justifier et se faire payer pour chacun de ses actes médicaux. Avant de nous promettre encore mer et monde, M. Bolduc devrait plutôt commencer par alléger cette mégastructure qu'est devenue sous son gouvernement le réseau de la santé. Un médecin de famille pour chaque Québécois d'ici 2016, M. Bolduc? Je ne vous crois pas, car le courage politique ne semble pas faire partie de vos forces!

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne.



DES VOEUX PIEUX



Plus de deux millions de Québécois n'ont pas accès à un médecin de famille et, selon Yves Bolduc, en 2016 le problème sera réglé. Ce miracle doit être attribuable à la magie du temps des Fêtes puisque le Québec reçoit 1000 immigrants par semaine et que sa population ne rajeunit pas. Est-il nécessaire de rappeler que pour certains examens médicaux, des délais de six mois à un an sont monnaie courante? Par ailleurs, plus de 50 % des diplômés en médecine de l'université McGill quittent le Québec, sans compter le peu d'attrait qu'exerce la médecine familiale auprès des futurs médecins et la difficulté, voire l'impossibilité, pour les omnipraticiens étrangers d'oeuvrer dans leur domaine. À cela s'ajoute les milliards de dollars que le gouvernement a choisi d'investir dans la construction,  sur un même territoire, de deux mégacentres hospitaliers au lieu d'un seul, privant ainsi la formation et la recherche de financement. Le ministre de la Santé rêve en couleur, car en 2016, la situation sera plus sombre encore.

Mélanie Dugré

Avocate.



L'UNION FAIT LA FORCE



Je ne crois pas que l'on puisse reprocher au gouvernement d'être inactif dans le dossier des médecins de famille. Avec trois enfants en bas âge que les petites maladies malmènent allégrement, je fréquente plutôt assidument les cliniques médicales. Au cours des dernières années, j'ai pu constater une amélioration significative de la fluidité et une augmentation de la disponibilité des médecins pour prendre en charge de nouveaux patients. J'estime par ailleurs qu'il faut être prudent dans notre effort à encourager les médecins à accroître leur charge de travail. Ces professionnels, de par la nature de leur travail, demeurent vulnérables au surmenage et  à l'épuisement. Plutôt que de travailler plus, ils doivent travailler différemment. Et même si le gouvernement, à titre d'employeur des médecins de notre système public, détient en grande partie la responsabilité d'apporter les correctifs nécessaires au problème actuel, les médecins eux-mêmes, témoins privilégiés des besoins des individus qui occupent leurs salles d'attente, ont un rôle à jouer dans l'implantation de mesures créatives visant à améliorer le sort des patients. À l'instar des Groupes de médecine familiale (GMF), les professionnels qui se regroupent afin de mieux partager leur temps entre la clinique d'urgence, les rendez-vous et les suivis de dossiers, contribuent à une meilleure efficacité du système. Comme quoi un médecin c'est bien, mais deux, c'est encore mieux!

Mélanie Dugré

Denis Boucher

Associé dans un cabinet de relations publiques.



PEUT-ON SAUVER LE PATIENT?



Si l'on se fie à un des principaux intervenants dans ce dossier, le Collège des médecins, il faut croire que le gouvernement et le ministre de la Santé ont pris des décisions qui devraient porter fruits. Il faut donc souhaiter que ces prévisions s'avèrent justes et que les Québécois pourront effectivement avoir un meilleur accès à un médecin de famille. Par contre, la hausse constante du budget de la santé, qui s'achemine allègrement au-delà des 30 milliards de dollars, laisse songeur. Considérant la dette colossale accumulée à coup de projets et de programmes mis de l'avant depuis les 50 dernières années et dont nous n'avions pas nécessairement les moyens, les élus auront éventuellement à prendre des décisions difficiles, certainement impopulaires mais absolument nécessaires. Nul ne peut douter de la volonté du ministre Bolduc d'améliorer le système de la santé au Québec. Il est de notoriété publique que le ministre s'échine sept jours sur sept à sa tâche mais, pour reprendre des termes médicaux, peut-on encore sauver le patient? Ainsi, on peut se réjouir d'avoir un jour assez de médecins pour soigner la population mais cela ne change rien au fait que l'escalade des coûts du système de santé ne pourra pas se poursuivre à l'infini. De quoi alimenter bien des débats...



Denis Boucher

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale.



LE PRIX D'UNE PROMESSE



Dans un Québec ou l'on rend le gouvernement responsable de tout, il n'est pas étonnant qu'on s'attende à ce que le ministre de la Santé promette à chacun de lui trouver un médecin de famille. François Legault fait la même promesse. Pourquoi ne l'a-t-il pas réalisée lorsqu'il était ministre de la Santé sous un gouvernement péquiste? Probablement parce que le fait d'avoir un médecin de famille ne dépend pas autant du gouvernement que des médecins eux-mêmes. Le gouvernement actuel a mis en oeuvre des moyens considérables pour améliorer le système de santé. Il y a investi des sommes colossales, particulièrement dans  la rémunération et les conditions de travail des médecins qu'ils soient spécialistes, omnipraticiens ou résidents. Avec le vieillissement de la population, l'argent dévolu à la santé atteindra dans quelques années à peu près la moitié du budget du Québec. Chaque négociation avec les fédérations médicales est l'objet d'une surenchère et d'une bataille rangée entre spécialistes et généralistes. Le président de la Fédération des médecins spécialistes pourfend les médecins généralistes estimant qu'ils ne travaillent pas assez. Les médecins omnipraticiens affirment de leur côté qu'ils ne sont pas assez payés. Cela fait partie des pressions qu'exerce chacune des fédérations médicales pour s'approprier une part toujours plus grande de l'enveloppe. La simple rémunération  à l'acte étant jugée dépassée, chaque geste fait l'objet d'une rémunération particulière et s'additionne à l'entente globale. Un médecin de famille pour chaque Québécois est une promesse qui a probablement un prix que l'on ne connaît pas encore.

François Bonnardel

Député adéquiste de Shefford.



ENCORE DES PROMESSES


Notre devise nationale est: Je me souviens. Il est parfois bon de s'en rappeler. En 2003, Jean Charest s'était engagé, la main sur le coeur, à donner un médecin de famille à tous les Québécois. Près de neuf ans plus tard, son ministre de la Santé nous relance la même promesse pour 2016. Cela représente ni plus ni moins qu'un échec désastreux pour le gouvernement libéral. Or, 1,7 million de Québécois n'ont actuellement pas de médecin de famille, le temps d'attente moyen dans les urgences est de 17,6 heures, des dizaines de milliers de patients quittent les urgences avant d'avoir vu un médecin et le temps de réponse moyen des paramédicaux augmente constamment. De plus, la proportion du budget consacré à la santé est maintenant de 45% et pourrait représenter 66% des dépenses de programmes d'ici 20 ans. Parallèlement, les coûts du Dossier Santé Québec ont explosés à 1,6 milliard $ et le gouvernement subventionne les entreprises pharmaceutiques de médicaments d'origine pour 193 M$ sans savoir si cela est rentable pour les coffres de l'État. Bref, le gouvernement promet d'avoir réglé la question des médecins de famille 13 ans après son accession au pouvoir. Il est maintenant temps de juger le gouvernement libéral sur ses réalisations en santé. Verdict: échec!

photo archives La Voix de l'Est

François Bonnardel

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc., ex-PDG de la SAQ et de Loto-Québec.



POUR GARDER LE POUVOIR



Le Parti libéral du Québec, plus un parti de pouvoir qu'un parti d'idéologie, nous a habitués à des promesses électorales dont le seul but était de prendre ou de garder le pouvoir, sachant très bien que les électeurs ont cette faculté d'oublier avec les années. Qui se souvient de cette promesse de trouver une solution définitive aux temps d'attente dans les urgences et qu'en est-il huit années plus tard? Aujourd'hui, avec des élections probables en 2012, il semble que le Parti libéral tentera de se faire réélire en utilisant deux axes de communication: le développement du Plan Nord et l'accès à un médecin de famille pour tous d'ici 2016. Mais, dans un cas comme dans l'autre, il va devoir mettre de la viande autour des os pour que ce soit autre chose que des promesses vides de sens. L'accès à un médecin de famille pour chaque Québécois va nécessiter beaucoup plus que d'avoir plus d'omnipraticiens qui sortent des universités. Ça va prendre une réorganisation du travail autant des omnipraticiens eux-mêmes, des spécialistes, des pharmaciens et des infirmières. Si le gouvernement ne pose pas les gestes nécessaires pour y parvenir, ce sera à nouveau rien d'autre qu'une promesse électorale destinée à garder le pouvoir, en espérant que les Québécois l'oublieront avec le temps. Voilà peut-être pourquoi l'option de François Legault prend de l'ampleur.

PHOTO FOURNIE PAR GAÉTAN FRIGON

Gaétan Frigon.