Le député Jean-Martin Aussant, qui a quitté récemment les rangs du Parti québécois, songe à fonder un parti indépendantiste. Avec la présence du PQ et de Québec solidaire sur la scène politique québécoise, reste-t-il encore de la place pour une nouvelle formation souverainiste? Est-ce une initiative souhaitable?

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Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

LA CONGESTION SOUVERAINISTE

Un nouveau parti indépendantiste des démissionnaires du PQ, un parti souverainiste (PQ), un parti socialiste souverainiste (Québec solidaire), un parti virtuel mais éventuel de François Legault, ni souverainiste, ni fédéraliste, un parti autonomiste-fédéraliste (ADQ)... Voilà une congestion politique qui ressemble de plus en plus au réseau routier montréalais ces temps-ci! Le seul mérite du nouveau parti indépendantiste (NPI?) de Jean-Martin Aussant sera sans doute celui d'être clair quant à ses intentions de sortir du Canada, un projet radical dont une majorité de Québécois ne veut pas. Plus de tergiversations, d'étapes, d'astuces, de circonvolutions, de gouvernance souverainiste ou de conditions gagnantes comme au PQ. Le parti indépendantiste de M. Aussant contrastera également avec la position «ni-ni» de François Legault qui décrète un moratoire de 10 ans sur la question nationale, une première dans le monde. Se définir par ce que l'on n'est pas, comme le fait M. Legault, laisse entrevoir de sérieuses collisions avec la réalité. Qu'à cela ne tienne, pendant que tous ces partis couperont les cheveux en quatre pour savoir qui est le plus ou le moins souverainiste, le PLQ devrait être en mesure de continuer de prouver que le fédéralisme sans complexe demeure le meilleur système pour nous assurer un avenir prospère dans tous les sens du terme.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec

RECUL DE LA CAUSE SOUVERAINISTE

Depuis plusieurs décennies au Québec, les forces politiques en présence sont divisées principalement entre souverainistes et fédéralistes. Le Parti québécois a toujours représenté l'option souverainiste, ce qui, historiquement, l'a toujours placé dans une position délicate. Ce parti est en fait un amalgame d'idées pas toujours convergentes. Il y a les purs et durs pour qui la souveraineté doit se faire rapidement, quitte à tourner les coins ronds, et il y a les réalistes pour qui il faut tout d'abord prendre le pouvoir et faire un référendum crédible le temps venu. Mais pour prendre le pouvoir, encore faut-il une unité des forces souverainistes et cela n'a jamais été l'apanage du Parti québécois. Dans ce contexte, il apparait évident que la fondation d'un nouveau parti indépendantiste ne fera que faire reculer la cause pour ceux qui y tiennent vraiment. Déjà, Québec solidaire fait le plein à gauche alors que François Legault fait le plein à droite. Alors, un nouveau parti indépendantiste sous l'égide du député Jean-Martin Aussant plairait aux libéraux qui verraient une opposition fractionnée, mais déplairait aux péquistes qui verraient le pouvoir s'éloigner d'autant. Alors, dans le contexte que, en démocratie, l'alternance des partis au pouvoir est fondamentale, il est évident qu'un nouveau parti indépendantiste n'est pas une initiative souhaitable.

Jana Havrankova

Endocrinologue

UN PARTI INDÉPENDANTISTE QUI PARLE FRANCHEMENT

Oui, il y aurait de la place pour un nouveau parti indépendantiste qui jouerait franc jeu avec la population en expliquant les avantages et les inconvénients de la séparation du Québec. Il est tout à fait légitime de vouloir un pays à soi, de promouvoir ses propres valeurs et ses propres projets. Toutefois, il ne faut pas se berner d'illusions que tout se passera dans l'allégresse et sans sacrifice aucun. Or, le PQ a tendance à balayer les difficultés et présenter le projet de l'indépendance édulcoré pour que la population l'accepte à «50% plus 1». Lorsque Pauline Marois a prévu des «turbulences» après un éventuel référendum gagnant, elle a dû, sous la pression d'autres membres du PQ, changer de terme et parler de «l'effervescence». La question référendaire de 1995 ne portait pas directement sur l'indépendance, mais sur une négociation préalable avec le Canada. Jacques Parizeau a alors comparé ce processus référendaire à la cage aux homards: on y entre, mais on n'en sort plus. Qui désire un pays né de faux-semblants? Il serait temps qu'un parti indépendantiste présente les tenants et les aboutissants de la souveraineté de manière honnête pour éclairer la population.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

L'AGITATION N'EST PAS L'ACTION

Pour être comprise, l'actualité doit s'éclairer à la lumière de l'histoire. Tout comme l'Union nationale est arrivée au début des années 70 au terme de son cycle historique, le Parti québécois semble aujourd'hui arriver au terme du sien. Et Pauline Marois pourrait bien être au PQ ce que Jean-Jacques Bertrand a été pour l'UN. À moins que la crise du souverainisme officiel ne débouche sur un redressement inattendu - très inattendu. Il n'est pas interdit de penser que les démissionnaires reviennent dans un PQ dont la chefferie deviendrait soudainement vacante. Dans ce cas, Pierre Curzi pourrait être la figure charismatique évitant au PQ son naufrage, ce qui ne veut pas dire qu'il lui fournirait autre chose qu'un sursis de plus. Un sursis qui pourrait mener à son authentique refondation? Qui sait. D'autres envisagent la création d'un nouveau parti souverainiste. Si on ne peut exclure a priori cette hypothèse, pour peu qu'elle évite la tentation groupusculaire, il faudra répéter à ceux qui s'excitent à l'enthousiasme militant que l'agitation n'est pas l'action. Les souverainistes ont l'habitude de multiplier les mouvements qui se partagent toujours les mêmes membres. Imaginons le pire: un souverainisme boomerisé et vieillissant écartelé en chapelles électorales concurrentes. Ce mauvais film a déjà un titre: «Guerre civile au CHSLD». Souhaiter l'indépendance est une chose. Se faire croire qu'il suffirait d'un surplus de volonté pour la faire advenir relève de la pensée magique. La fuite en avant dans le maximalisme référendaire qui pourrait inspirer certains militants exaspérés n'est certainement pas la meilleure manière d'être fidèle au Québec. L'idée d'indépendance survivra probablement à l'effondrement du projet souverainiste tel qu'on l'a connu, mais il est trop tôt pour savoir comment elle se recomposera politiquement.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

LE MONDE A CHANGÉ DEPUIS 1968

Pour les souverainistes inaltérables, la souveraineté semble être devenue une finalité en soi. Plusieurs d'entre nous avons été souverainistes au cours de notre vie, pour diverses raisons. Mais la souveraineté du Québec a-t-elle encore sa place aujourd'hui? Sommes-nous un peuple opprimé? Avons-nous besoin de la souveraineté pour évoluer? Je crois que non. Ce qui a pu sembler être une solution à une époque peut ne plus l'être à une autre. Je suis fier d'être Québécois, je suis fier de parler français. Mais je serais encore plus fier si nous étions capables de donner l'exemple d'une société qui se prend en main, individuellement et collectivement. Le monde a bien changé depuis la fondation du PQ en 1968. Notre population s'ouvre sur le monde, réalise de plus en plus que l'environnement est la base de toute chose, comprend davantage la réalité du multiculturalisme et conçoit l'interdépendance économique et politique entre les pays du monde. Peu importe le nombre de partis souverainistes, la souveraineté n'est pas la solution à tous nos maux. Nous ne sommes pas un village d'irréductibles Gaulois autosuffisants. Ainsi, ce dont nous avons besoin, ce n'est pas la multiplication des partis souverainistes, mais bien d'un parti rassembleur permettant à la population d'avoir un consensus collectif. Je rêve d'une province où les anglophones et les francophones se mêlent au lieu de cohabiter en deux solitudes. Je rêve de faire partie d'une société plutôt que de vivre en individu. Si certains partis doivent naître, d'autres doivent disparaître: peu importe qu'ils existent depuis 10 ou 100 ans. La valeur et la raison d'être d'un parti politique se mesurent à la qualité de ses candidats actuels. Le PQ de René Lévesque n'existe plus. L'époque à laquelle il a été créé non plus. Aujourd'hui, je me définirais comme nationaliste et non comme un souverainiste, et vous? Est-ce moi ou les péquistes sont en train de causer leur propre perte?

Éric Bédard

Historien et professeur agrégé à la TÉLUQ

IL EST MINUIT MOINS CINQ

S'il n'est plus «référendiste», le Parti québécois est toujours souverainiste. Contrairement à René Lévesque et à Jacques Parizeau, Pauline Marois refuse de tenir un référendum sur la souveraineté coûte que coûte. Normal, puisque les deux défaites référendaires ont considérablement amoindri notre rapport de force. Et le contexte d'aujourd'hui n'a rien à voir avec celui des lendemains de l'échec du lac Meech. Quant à la «gouvernance souverainiste», il faudra qu'on m'explique en quoi cette approche diffère du «bon gouvernement» ou de «l'autre façon de gouverner» des deux illustres prédécesseurs de Mme Marois. Une fois élu, un gouvernement du Parti québécois sera responsable des grands dossiers de l'État, d'où la nécessité de formuler des propositions claires sur les enjeux qui préoccupent nos compatriotes. Si les démissionnaires n'étaient pas d'accord avec cette démarche, ils n'avaient qu'à en proposer une meilleure lors du dernier congrès ou à contester ouvertement la chef, ce qu'ils n'ont pas fait. Il est minuit moins cinq! Il me semble urgent, pour les nationalistes, de se rassembler au sein d'un parti qui peut offrir une véritable alternative aux Québécois et mener ses batailles à l'intérieur d'une formation politique qui n'a jamais eu peur des idées.