La crise de l'euro qui s'aggrave, des indicateurs économiques inquiétants ont fait surface aux États-Unis, certains commencent à craindre que la reprise économique s'essouffle. Y a-t-il un risque que l'économie mondiale retombe en récession? Si c'était le cas, le Canada serait-il relativement épargné, comme il l'a été en 2008-2009? Dans ce contexte d'incertitude, que doivent faire nos gouvernements?

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Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

REGARDER LES CHOSES EN FACE

Depuis 2008, nous aimons penser que le Canada est à l'abri d'une crise économique. C'est une position confortable. La Grèce, l'Espagne et le Portugal, c'est loin! Par contre, les États-Unis, c'est pas mal plus proche. Le déficit et la dette astronomiques des Américains affaiblissent leur capacité de relance. Malgré la diversification de nos débouchés commerciaux, nous dépendons encore fortement de l'état de santé économique de notre puissant voisin du Sud. Dans le cas d'une nouvelle récession, il ne fait aucun doute que nous en subirons les contrecoups. Les déficits publics, l'endettement des États et l'interdépendance des marchés rendent les économies nationales vulnérables aux soubresauts d'une économie mondialisée. Pourtant, les citoyens ne veulent pas entendre parler de coupes ou de restrictions dans les dépenses publiques. On a perdu le sens des priorités, on veut que nos gouvernements soient responsables de tout et on ne veut surtout pas qu'ils viennent nous dire qu'ils ne pourront faire face aux obligations financières accumulées au fil des ans. Une bonne partie de la population est aussi lourdement endettée et dispose de peu d'épargnes. Nous pensons que le gouvernement nous sauvera! Regardons la Grèce et tirons-en des conclusions.

Louis Bernard

Consultant

LA PRUDENCE S'IMPOSE

Malheureusement, il y a lieu de craindre sérieusement que le monde retombe dans une nouvelle crise économique. Et cela, pour au moins deux raisons. D'abord, parce que les réformes qui ont suivi la dernière crise, dans la mesure où il y en a eu, sont beaucoup trop timorées et n'empêcheront nullement la répétition des abus financiers qui ont mené à la crise de 2008-2009. La spéculation financière a continué comme avant et les mégas-banques restent «too big to fail», sauf que le Trésor public n'a plus les ressources pour les soutenir. Cette situation est due à l'énorme pouvoir politique exercé par Wall Street et à l'état d'impuissance où se retrouve actuellement la gouvernance politique américaine. La deuxième raison, qui découle en partie de la première, c'est que des événements récents menacent l'équilibre fragile qui existe à l'heure actuelle. C'est le cas, en particulier, de la crise grecque qui, si elle n'est pas résorbée, risque d'emporter avec elle le système financier européen, voire même l'existence de l'euro. Dans tout cela, le Canada et le Québec devraient assez bien s'en tirer, tout comme la dernière fois, grâce à notre situation financière relativement saine et aux bonnes pratiques de nos institutions financières. Il n'y a pas de politiques particulières à mettre en place, si ce n'est de poursuivre nos efforts pour revenir à l'équilibre budgétaire de nos gouvernements et diminuer l'état d'endettement de nos ménages.

Jean Gouin

Directeur général, Fédération des médecins résidents du Québec

L'ÉCONOMIE CANADIENNE SAURA RÉSISTER

À la suite de ce qui s'est passé en 2008, il est certain que notre confiance en l'économie mondiale a été fortement ébranlée et le demeure. L'économie n'est pas seulement affaire d'indicateurs. C'est aussi une question de comportement et nous agissons différemment si nous sommes confiants que si nous sommes méfiants. Le cri de la rue, dont nous sommes présentement témoins en Grèce, et l'indignation qui s'est manifestée en Espagne, au Portugal, en Islande, en France et dans d'autres pays de la communauté européenne, n'annoncent rien de bon et nous portent à la plus grande prudence. La communauté européenne fait tout pour sauver la Grèce du marasme économique dans lequel elle s'est enlisée. Les mesures d'austérité sont nettement impopulaires et le soulèvement populaire qui s'en est suivi est à craindre, car un tel soulèvement peut se répandre comme une traînée de poudre. Plus près de nous, l'économie américaine montre des signes d'essoufflement et semble même anémique à certains égards. Jusqu'à maintenant, le Canada a bien su tirer son épingle du jeu, mais saura-t-il en faire autant si nous nous heurtons à une récession mondiale. Oui, une nouvelle crise économique est à craindre. Par ailleurs, la récente élection des conservateurs, qui ont fait de l'économie leur thème prépondérant, et le récent budget Flaherty nous permettent d'espérer en des temps meilleurs.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

CREVER L'ABCÈS

Faut-il craindre une crise économique? Nos gouvernements peuvent-ils faire quelque chose? Demandons à nos élus s'ils savent la différence entre dépression, contraction, récession, crise économique, crise de liquidités, crise de subsistance et crise financière. Selon les analystes des bulletins de nouvelles télévisés, l'économie semble bien se porter en période de croissance, de consommation et de création d'emploi. Dans un monde où les ressources et l'espace sont limités, il est naïf de croire qu'on peut être à l'abri de problèmes économiques périodiques. La croissance infinie est un concept aussi réel que l'univers fantastique de Peter Pan. La reprise économique des dernières années cache une réalité beaucoup plus inquiétante: les Québécois s'endettent de plus en plus, personnellement et collectivement, pour vivre un train de vie qui n'est pas le leur et soutenir artificiellement une partie de la reprise économique. On ne parle pas d'utilisation de l'effet de levier, mais bien de dette de consommation. C'est une véritable bombe à retardement qui nous attend. À un moment ou à un autre, on réalisera que les Québécois n'ont pas d'épargne, qu'ils sont endettés et qu'ils n'ont pas été outillés pour comprendre l'impact d'une hausse éventuelle des taux d'intérêt. Peut-être qu'une véritable crise économique est la seule façon de faire comprendre à la population que nous sommes dans une situation précaire constante. Ainsi, il faut ramener sur la table les principes de base d'épargne, de prudence, de réduction de la consommation et de planification de l'imprévu. Je crois que le rôle du gouvernement est d'investir à long terme dans l'éducation. C'est-à-dire d'inclure des bases obligatoires de littératie financière dans notre système d'éducation. Pour l'instant, nous chantons en espérant naïvement que l'hiver ne se pointera jamais.

Paul Daniel Muller

Économiste

PATIENCE ET PRUDENCE

Les reprises ne sont pas toujours rapides. Après la récession de 1991, il a fallu trois ans pour que l'emploi au Canada retrouve son niveau pré-crise. Nous n'en sommes pas encore là. Cette fois, les gouvernements des pays de l'OCDE, notamment celui des États-Unis, ont injecté beaucoup d'argent dans le système pour renflouer des institutions financières et enclencher une reprise. Maintenant, plusieurs d'entre eux sont pris avec des déficits et des dettes colossaux. Pour se sortir du trou, ils doivent diminuer les dépenses et augmenter les taxes tout à la fois. De telles mesures d'austérité ralentissent la reprise, mais c'est le prix inévitable d'une politique contre-cyclique. De là à ce que toute l'économie mondiale retombe en récession, il y a une marge. Les économies émergentes continuent à progresser; la Chine est même en surchauffe. Les prix mondiaux de l'énergie, des métaux et des produits alimentaires remontent graduellement, malgré des soubresauts. Le Canada, avec ses exportations de ressources, profite de cette conjoncture. La reprise devrait donc se poursuivre au Canada quitte à traîner un peu. Dans ce contexte, les gouvernements fédéral et ceux des provinces peuvent continuer de remettre leurs finances en ordre, à bon pas, sans trop ralentir la reprise.

François Bonnardel

Député pour l'ADQ dans Shefford

LE GOUVERNEMENT DOIT MONTRER L'EXEMPLE

Afin d'affronter la dernière crise économique, la plupart des gouvernements des pays industrialisés se sont endettés dans le but de stimuler la création d'emplois. Or, ce surendettement est à l'origine d'une autre crise potentielle. La situation financière de la Grèce inquiète grandement les pays de la zone euro. Du côté des États-Unis, le plafond de la dette est quasi atteint et le pays sera en défaut de paiement le 2 août si rien n'est fait. Toutes ces incertitudes à l'échelle mondiale incitent les différents intervenants sur les marchés financiers à être prudents. Ce contexte économique pourrait, à moyen terme, replonger le monde en crise. En 2010, le Québec était la cinquième nation la plus endettée, à 94,5% du PIB, suivant de près la Grèce. En mars dernier, Moody's lançait un avertissement de décote à long terme à Québec si le gouvernement continuait d'augmenter sa dette. À cet effet, le gouvernement a intérêt à effectuer un réel contrôle des dépenses et à cesser la spirale de l'endettement en commençant par rembourser directement sa dette au lieu d'utiliser un effet de levier risqué avec le Fonds des Générations. Quand le gouvernement affirme vouloir s'attaquer à l'endettement individuel des Québécois, c'est louable, mais il devrait chercher à montrer l'exemple en faisant le ménage dans son propre portefeuille.

Guy Caron

Député fédéral (NPD) de Rimouski-Neigette-Témiscouata-Les Basques et critique de l'opposition officielle pour l'Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec.

UNE FRAGILITÉ AMPLIFIÉE

Il ne fait aucun doute que la reprise canadienne est fragile et la politique fiscale du gouvernement conservateur amplifiera cette fragilité pour trois raisons: son inefficacité, son inutilité et la réduction de la marge de manoeuvre future qu'elle entraîne. Inefficacité, parce qu'un tableau des multiplicateurs fiscaux et de dépenses, produit par le ministère des Finances, démontre que la baisse du taux d'imposition des entreprises ne produit qu'une augmentation de 0,30$ du PIB pour chaque dollar de réduction, le plus faible impact de toutes les mesures à la disposition du gouvernement. Par contraste, chaque dollar investi en projets d'infrastructures génère une augmentation de 1,60$ du PIB. Inutilité, parce que le taux de réinvestissement des liquidités des entreprises canadiennes est en diminution constante depuis 2000, malgré la réduction significative du taux d'imposition. Les liquidités augmentent, mais les dépenses en immobilisations demeurent stables. Les entreprises sont en mesure d'investir, mais pour diverses raisons, elles ne le font pas. Enfin, si le Canada devait être affecté par une nouvelle crise économique mondiale, sa marge de manoeuvre pour agir sera réduite en raison des pertes substantielles de revenus résultant de cette politique fiscale. Les investissements en infrastructure constituent le meilleur moyen de solidifier la reprise économique canadienne. Heureux hasard: les besoins en infrastructures sont là! Dommage que le gouvernement conservateur refuse de joindre l'utile à l'agréable.

Daniel Gill

Professeur agrégé, Institut d'urbanisme, Université de Montréal

L'ÉCONOMIE DU QUÉBEC MAINTENUE ARTIFICIELLEMENT EN VIE

Il semble de plus en plus évident que la reprise économique va prendre la forme d'un W plutôt que celle espérée d'un V. Ainsi, au début du printemps nous aurions atteint le sommet du milieu. L'avenir sur tous les fronts semble nous entraîner vers une rechute. Le marché immobilier américain, qui ne se relève pas, la crise financière qui s'aggrave en Europe, l'inflation difficilement contrôlée en Chine et le maintien du prix du pétrole à des niveaux élevés, sont autant d'éléments qui font craindre le pire. Malgré des finances publiques beaucoup plus saines, le Canada pourrait être affecté par la situation, compte tenu de ses rapports avec les États-Unis pour le secteur manufacturier et avec la Chine pour les matières premières. De plus, l'endettement croissant des Canadiens devrait également ralentir la consommation qu'une augmentation des taux d'intérêt pourrait rendre anémique. Quant au Québec, nous vivons dans une situation totalement artificielle engendrée en grande partie par la détérioration de nos équipements et de nos infrastructures publics qui nécessitent des réinvestissements pharaoniques. Lorsqu'on regarde la situation montréalaise, on s'aperçoit que le moteur économique du Québec au cours des dernières décennies a été l'affaire du secteur public. À venir, le CHUM, Turcot, Champlain, la 30. Autant de dépenses qui n'auront aucun impact à long terme, mais qui vont nous permettre de survivre à court terme. Il faudra bien cependant payer la note un jour. Selon l'OCDE, en rapport au PIB, la dette du Québec est actuellement la cinquième plus importante des pays industrialisés, juste derrière la Grèce et l'Islande qui ont demandé l'aide du FMI. Avec le vieillissement de la population, il est difficile de croire que le Québec s'en sortira aussi bien encore longtemps.

Françoise Bertrand

Présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec

LA REPRISE ÉCONOMIQUE ET SES SIGNES INQUIÉTANTS

Plusieurs signes économiques inquiétants apparaissent ces derniers temps. La stagnation économique et de l'emploi aux États-Unis, la Bourse qui semble se diriger vers une correction, la zone euro qui devra sans doute sauver la Grèce encore une fois, en plus de la fin des nombreux programmes de soutien économique partout dans le monde, sont autant de feux jaunes à notre tableau de bord. Au Québec, la dépendance aux marchés internationaux fait de nous une économie très sensible aux fluctuations. Si lors de la crise précédente nous nous en sommes bien tiré, grâce entre autres aux programmes gouvernementaux d'infrastructures, je ne suis pas certaine que la marge de manoeuvre pour le même genre d'opération existe dans les coffres d'Ottawa ou de Québec actuellement. Il est clair qu'un fort ralentissement ou même une récession affecterait les entreprises du Québec. Nous devons saisir l'occasion pour augmenter notre productivité et investir dans nos infrastructures déficientes. Nous devons soutenir l'entrepreneuriat dont la relève québécoise se fait attendre et nous devons améliorer l'adéquation main-d'oeuvre et éducation. Ce sont là nos solutions pour nous éviter de sombrer dans un marasme économique.