Une coalition formée par le Parti libéral, le Bloc québécois et le NPD serait-elle légitime et souhaitable pour gouverner le pays? Ou, comme le prétend le premier ministre Harper, une coalition serait-elle plutôt une source d'instabilité politique?

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Martin Coiteux

Professeur au service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal.

OUI, SANS LE BLOC

Dans notre tradition politique, c'est toujours au premier parti en chambre que revient l'initiative de former le gouvernement. En ce sens, une coalition incluant ce parti aura toujours plus de légitimité qu'une coalition qui l'exclue. Il faut des circonstances exceptionnelles pour qu'une coalition formée par les «perdants» de l'élection soit jugée légitime par une majorité de la population. De ce point de vue, l'éphémère coalition PLC-NPD de 2008 souffrait d'un handicap de légitimité, mais son boulet principal provenait de sa dépendance au soutien d'un parti voué aux intérêts d'une seule province. Il m'apparaît donc exclu que cette coalition ne revoit le jour à moins que le Parti libéral n'obtienne d'abord une pluralité de sièges et que l'appui du NPD lui soit seul suffisant au maintien d'une majorité en Chambre. À défaut d'une majorité conservatrice, les gouvernements présidant aux destinées du Canada demeureront instables tant et aussi longtemps que le PLC et le NPD n'auront trouvé le moyen formel d'unir leurs forces et de décrocher à eux seuls la majorité requise en Chambre. L'institutionnalisation de la présence du Bloc québécois en politique fédérale a de réelles conséquences sur la gouvernabilité du Canada.

Louis Bernard

Avocat, consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec.

SOUHAITABLE, MAIS PEU PROBABLE

À l'issue des élections fédérales en cours, il est possible qu'aucun parti ne soit majoritaire. Si cela devait être le cas, il serait souhaitable que le prochain gouvernement soit un gouvernement de coalition plutôt qu'un gouvernement minoritaire. En effet, cela voudrait dire que la majorité des électeurs canadiens ont démontré, au cours de quatre élections consécutives, qu'ils ne sont pas prêts à faire confiance à l'un des partis, de sorte que seule une alliance de plusieurs partis peut représenter une majorité de l'électorat. Dans de telles circonstances, une coalition majoritaire serait non seulement souhaitable, mais même plus légitime qu'un gouvernement minoritaire. Par contre, une telle coalition est malheureusement peu probable, car les deux partis qui pourraient éventuellement en prendre la direction, le Parti conservateur et le Parti libéral, ont solennellement promis de ne jamais en faire partie. Les gouvernements de coalition, qui dirigent les destinées de la plupart des pays démocratiques, ne font pas encore partie de nos moeurs électorales.

Jean-Claude Hébert

L'auteur est avocat.

LIBÉRAUX ET NPD SEULEMENT

Logiquement, une coalition éventuelle entre le Parti libéral et le NPD serait parfaitement légitime. C'est d'ailleurs le cas pour le gouvernement britannique composé d'une coalition entre les conservateurs et les libéraux. La légitimité d'une coalition est fonction des objectifs et du programme électoral des partis coalisés. Au Canada, l'objectif ultime du Bloc québécois - soit défendre les intérêts du Québec dans l'attente d'un référendum qui soit positif - ne cadre pas avec l'objectif d'un gouvernement national. En résumé, j'estime que seule une coalition entre les libéraux et les néo-démocrates pourrait - en toute légitimité et en conformité de la Constitution canadienne - inviter le gouverneur général à lui confier la responsabilité de gouverner le pays.

Pierre Paquette

Candidat du Bloc québécois dans Joliette.

M. HARPER ÉTAIT D'ACCORD EN 2004

Une telle coalition sera tout à fait légitime et souhaitable dans la mesure où, d'abord, Stephen Harper en a lui-même instauré les bases en 2004 et, ensuite, si elle sert les intérêts du Québec. Stephen Harper a lancé sa campagne électorale avec un mensonge gros comme le bras en affirmant que l'idée même d'une coalition est illégitime, qu'un parti qui ne finissait pas premier ne devait pas former le gouvernement et que lui n'aurait jamais fait ça. Or, c'est exactement ce qu'il a fait en 2004. Le 9 septembre 2004, Stephen Harper écrivait à la gouverneure générale que si Paul Martin perdait la confiance de la Chambre, il y avait une option autre que les élections, soit que lui, dont le parti avait fini deuxième, pourrait former un gouvernement avec l'appui du NPD et du Bloc québécois. Il y a une lettre, signée de sa main, qui l'atteste. Son intention était manifeste. M. Harper veut aujourd'hui cacher cela et on comprend pourquoi: ça détricote complètement le mensonge sur lequel il veut faire reposer toute sa campagne. Stephen Harper veut obtenir une majorité en se fondant sur un mensonge.

Thomas Mulcair

Candidat du NPD dans Outremont.

DYNAMIQUE POLITIQUE À REPENSER

Depuis 2004, les choix électoraux des Canadiens ont résulté, de façon répétitive, en des gouvernements minoritaires à la Chambre des communes. Dans ce contexte, les partis doivent donc trouver différents moyens de faire fonctionner le Parlement. Il s'agit d'un défi de taille, mais aussi d'une occasion que tous doivent saisir afin de repenser la dynamique politique au pays. C'est cette approche que Jack Layton et le NPD favorisent. Depuis 2004, le NPD a prouvé qu'il était prêt à travailler avec tous les députés souhaitant faire du Canada un meilleur pays, afin de mettre de l'avant des politiques plus progressistes, et il continuera à le faire. De cette façon, nous avons obtenu d'importantes concessions du gouvernement de Paul Martin en 2005. Les cadeaux qui étaient destinés aux grandes entreprises ont plutôt été redirigés, grâce au NPD, vers les municipalités, afin qu'elles puissent développer de meilleurs réseaux de transport en commun, ainsi qu'offrir plus de logements abordables. Cette élection ne porte pas sur les dispositions que les partis pourraient prendre dans l'éventualité d'un retour à un gouvernement minoritaire, mais bien sur les politiques qui seront mises de l'avant par les partis et qui profiteront aux Canadiens.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM.

NON MERCI!

On comprend le Canada anglais de se braquer contre l'hypothèse d'un gouvernement de coalition qui reposerait sur l'appui d'un parti souverainiste. Pour lui, le Bloc travaille à la déconstruction du Canada. On comprend moins le Bloc québécois de s'en faire le promoteur au point de brandir cette idée comme une preuve de son aptitude à la bonne gouvernance. Et tant qu'à s'allier avec un parti canadien, on voit mal pourquoi les souverainistes se rallieraient davantage aux trudeauistes du PLC et aux centralisateurs du NPD qu'au Parti conservateur, historiquement bien mieux disposé envers l'autonomie des provinces, profitable au Québec. L'adhésion du Bloc à la thèse de la coalition consacre en fait sa normalisation dans les paramètres du fédéralisme canadien. On sait pourquoi: d'abord fondé comme une coalition nationaliste, le Bloc s'est transformé en parti de gauche, ce qu'il dissimule derrière la rhétorique des «valeurs québécoises», difficiles à distinguer des valeurs portées par le PLC ou le NPD. Le Bloc est devenu le troisième pilier du progressisme pancanadien. La vocation des souverainistes ne devrait pas être d'huiler la mécanique de la fédération, mais de s'appuyer sur ses faiblesses pour en redéfinir profondément la constitution ou, mieux encore, accélérer la rupture du lien canadien.

Pierre Calvé

Ancien professeur au département de linguistique et doyen de la faculté d'éducation à l'Université d'Ottawa.



PLUS REPRÉSENTATIF


Je ferais plus confiance à un gouvernement de coalition qui représenterait vraisemblablement plus de 60% des Canadiens, et ce en toute légitimité, quoi qu'on en dise, qu'à un parti qui a perdu toute crédibilité sur le plan moral et qui n'hésite pas à recourir à la prorogation lorsqu'il se sent menacé. Lui donner à nouveau le pouvoir, surtout majoritaire, serait lui conférer une impunité qui comporterait plus de risques que les inévitables mais souvent salutaires compromis d'une coalition. Il est temps que ce pays se sorte du carcan du bipartisme.