«Plus de 40% des personnes qui sont au chômage dans ce pays n'ont pas droit aux prestations d'assurance emploi. L'assurance emploi utilise toujours 58 critères d'admissibilité régionaux différents. Cela n'a aucun sens. À Mississauga, un père de quatre enfants dont la femme touche des prestations d'invalidité a cotisé à l'assurance emploi mais n'y est pas admissible parce qu'il lui manque 11 heures de travail, selon les règles en vigueur. Ces règles sont injustes. Il faut absolument réformer notre système d'assurance emploi.»

Ces mots, M. Ignatieff, sont les vôtres, signés de votre propre main, publiés dans les pages de ce même journal le 23 mai 2009. Vous sortiez du congrès du Parti libéral du Canada, fort, et vous avez osé réclamer des changements à l'assurance emploi, allant même jusqu'à proposer, à titre temporaire, le fameux «360 heures» comme critère unique d'admissibilité. Nous étions en pleine crise de l'emploi, certaines régions du Canada plus touchées que d'autres. Votre proposition avait alors semé une véritable commotion politique. Vous menaciez même de faire tomber le gouvernement Harper sur ces questions.

Nous avons, alors, salué votre courage. Ce courage s'entendant par un chef politique qui semblait s'engager à réparer les injustices commises dans le programme d'assurance emploi, par son propre parti auparavant au pouvoir. Certains, comme l'économiste Pierre Fortin, ont salué votre geste; d'autres l'ont dénoncé comme une mesure «désincitative» à l'emploi. Ces mêmes oiseaux de malheur oubliaient que plus de 70% des chômeurs ne se rendent pas à la fin de leurs prestations, et qu'au Canada, la durée moyenne d'une période de prestations est d'à peine 18 semaines, et cela tout simplement parce que les chômeurs demeurent des travailleurs, et des travailleurs qui veulent travailler.

Depuis 2006, M. Ignatieff, nous avons eu plusieurs échanges avec nombres de vos députés: Pablo Rodriguez, Denis Coderre, Mike Savage, d'autres encore. Nous avons rencontré à deux reprises votre caucus québécois. Pourquoi n'y a-t-il rien, absolument rien, à propos du programme d'assurance emploi dans la plateforme électorale du Parti libéral, dévoilée le 3 avril? Rien, M. Ignatieff!

Pourtant, les constats que vous faisiez en 2009 demeurent toujours cruellement vrais: plus de 40% des chômeurs qui ont cotisé à ce régime au cours de la dernière année n'ont pas droit aux prestations d'assurance emploi. C'est pourquoi nous menons campagne avec la Coalition des sans-chemise, réclamant justice et la fin de ce tripotage éhonté de la caisse d'assurance emploi. Nos demandes vont dans le sens de réhabiliter l'essence même de ce que devrait être l'assurance emploi, soit un programme qui protège économiquement les travailleurs qui se retrouvent entre deux emplois, c'est-à-dire en chômage. Nous réclamons aussi une caisse autonome. Le gouvernement ne doit plus être le bizarre de banquier de ce programme, celui qui ne finance rien mais qui part avec la caisse de nos cotisations.

Que signifie votre silence, M. Ignatieff? Vous avez peur des conservateurs? Vous craignez leur «clip» du «neuf semaines de travail pour un an d'assurance chômage»? Devons-nous plutôt comprendre qu'il ne s'agissait, de votre part, que de manoeuvres et stratégies politiques plutôt que de convictions?

L'auteur est porte-parole du Conseil national des chômeurs (CNC). Il s'adresse au chef du Parti libéral du Canada, Michael Ignatieff.