Les biologistes ont décrit depuis longtemps les mécanismes mystérieux de la «symbiose». C'est l'association plus ou moins égalitaire de deux organismes totalement étrangers. Mais qui profitent l'un de l'autre, qui ont besoin l'un de l'autre pour survivre.

Le Canada est entré hier dans l'ère de la symbiose démocratico-médiatique.

D'un côté, des gouvernements des démocraties constitutionnelles, qui sentent leurs institutions minées. De l'autre, les journaux, qui n'arrivent plus à survivre. Et qui demandent de l'aide financière.

Voilà qu'enfin cette aide est accordée. On n'en connaît pas tout à fait les contours, mais du moins, elle arrivera.

L'aide arrivera parce que les gouvernements aussi ont besoin des médias qu'on dit «traditionnels», ou «professionnels», c'est-à-dire ceux qui ont une adresse, qui répondent légalement de leurs actes.

Cette aide, on l'a demandée depuis quelques années et, bien entendu, c'est un peu d'oxygène dans les salles de rédaction. On dit tous «ouf».

Il faut quand même voir combien notre monde a changé.

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Autant les gouvernements se sentent attaqués par les médias, autant ils en ont besoin. Ce qui remplacerait, ou remplacera, les médias de masse, ce peut fort bien être une sorte de sauvagerie numérique, sans maître et sans règles, sans domicile fixe et insaisissable.

Ce n'est pas tant le gouvernement fédéral qui a changé d'approche face aux médias d'information. Ce sont les journaux eux-mêmes qui ont changé, devant leur mort imminente.

Au-delà des millions annoncés hier, dont on ne connaît pas encore vraiment le mode de distribution, c'est une nouvelle philosophie qui est à l'oeuvre.

On entre dans une ère nouvelle, franchement étrange, où ceux qui disent depuis toujours «surveiller» les gouvernements en deviennent dépendants.

Bien d'autres pays connaissent des modèles de soutien aux médias d'information. Les meilleures institutions d'information dans plusieurs pays sont parfois financées par l'État. Elles ont su garder leur indépendance, leur distance.

Mais pour les journaux au Canada, en Amérique du Nord en fait, c'est du jamais vu.

Comprenez-moi bien, je ne crache pas dans la soupe, je suis content de voir cette reconnaissance de l'information de qualité comme un bien public essentiel. Il faut une certaine masse critique de journalistes pour produire quotidiennement de l'information significative, et si vous lisez La Presse, vous le savez fort bien.

Jusqu'à tout récemment, la publicité et les abonnements suffisaient amplement à financer tout ça. Plus maintenant.

Quand on observe le mode de financement de la télévision, on n'a pas trop de difficulté à justifier une aide aux journaux. Rien de trop gênant. Si les quiz et la téléréalité bénéficient d'avantages fiscaux, pourquoi pas les journaux?

Simplement, il reste à préciser les règles de cette aide, qui doit clairement apparaître comme un soutien à un bien public, indépendant, et non comme une accolade complaisante.

Il faut que ce soutien arrive au-delà des partis et des individus, qu'il soit durable, comme le financement du principe démocratique lui-même.

Et en ce moment, ç'a beau être une vraie bonne nouvelle, on ne sait pas encore exactement comment on gérera cette symbiose, qui ne doit pas virer au parasitisme. J'ai bon espoir qu'on y arrive, mais j'ai l'impression qu'on ne mesure pas vraiment à quel point les temps ont changé...