Il y a huit ans, Asia Bibi a été condamnée à la mort par pendaison au Pakistan. Le crime de cette mère de cinq enfants, qui travaillait dans une ferme ? Blasphème contre la religion musulmane.

Bibi est chrétienne et, par une chaude journée d'été, elle avait bu dans la tasse d'une autre travailleuse, musulmane celle-là. Dans ce coin du Pakistan, ces choses-là ne se font pas. Plutôt que de s'excuser, Bibi, apparemment, a opiné que d'après elle, Mahomet n'y verrait rien de bien grave. Une discussion orageuse a suivi, on lui a demandé de se convertir, on l'a finalement accusée, déclarée coupable, et depuis 2010, elle était dans le couloir de la mort.

Il y a deux semaines, la Cour suprême du Pakistan a acquitté la mère de famille et l'a libérée. Car si, d'un côté, les intégristes contrôlent une partie du pays avec des accents moyenâgeux, une autre partie du pays, plus moderne, croit fermement à l'État de droit.

La Cour suprême pakistanaise n'a pas remis en question le concept même de crime de blasphème (l'islam est la religion officielle au Pakistan) ; mais elle a écarté les témoignages à charge (deux soeurs qui se sont parjurées pour faire condamner leur voisine, selon la cour).

Depuis ce jugement d'acquittement, dont la publication a été retardée pour des raisons de sécurité, les juges sont menacés de mort, Asia Bibi ne peut pas sortir de chez elle, son avocat a fui à La Haye afin d'éviter de se faire assassiner.

Les menaces sont évidemment très sérieuses. Un exemple. Tout juste après ce jugement, j'ai rencontré à Montréal un demandeur d'asile qui a fui Lahore en catastrophe pour ne pas se faire tuer en marge de cette affaire. Le gouverneur de la région pakistanaise du Pendjab a été assassiné par un de ses gardes pour avoir remis en question la condamnation pour blasphème. Et ce nouveau Montréalais, dans une conversation privée, a émis l'opinion qu'on ne tue pas les gens sans procès... Une organisation ultrareligieuse intégriste près des talibans et très influente dans la région a laissé entendre que sa vie était en danger.

Depuis deux semaines, on voit des manifestations dans plusieurs villes contre ce jugement, appelant à la pendaison de la femme. Tout ça malgré les appels au calme, et même si le gouvernement tente de défendre le jugement de la plus haute cour du pays.

Cette femme et sa famille sont en danger de mort imminent. Le Canada a offert de l'accueillir, mais de toute évidence, le gouvernement du Pakistan craint les répercussions d'une fuite organisée.

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Quel rapport avec Maxime Bernier ? Le chef du « Parti populaire du Canada », qui pour l'instant n'a de populaire que le nom (pour l'instant !), avait quelque chose à dire là-dessus.

Il n'émet pas que du CO2, le bougre...

Dimanche, sur Twitter, il a publié une vidéo de ces manifs furieuses anti-Bibi, en ajoutant ceci : « Le multiculturalisme radical est la croyance erronée selon laquelle toutes les valeurs et les cultures peuvent coexister dans une société. C'est impossible. Nous devons protéger notre société contre ce type de barbarie. »

Ça vaut la peine de décrypter ces quelques mots lourds de sens et de non-dits.

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Le texte en lui-même n'a rien de nouveau. Maxime Bernier attaque depuis un certain temps Justin Trudeau et son gouvernement en utilisant l'expression « multiculturalisme radical ». En adjoignant à cette expression une vidéo de foules menées par des fous de Dieu (des « radicaux »), que veut-il signifier exactement ?

Que l'on invite ici des « barbares » qui veulent lyncher une femme pour blasphème ? Qu'on les tolère ?

C'est évidemment faux. Le gouvernement s'est non seulement empressé de dénoncer ces actes, il a ouvert ses portes à cette femme victime de l'obscurantisme religieux violent pour qu'elle trouve refuge au Canada.

Maxime Bernier ajoute que nous devons nous « protéger » contre cette barbarie. Sans doute, comme on doit être protégé des calamités en général. Mais suggère-t-il que le Canada est menacé par « ça », maintenant ? Que les barbares sont à nos portes ? Qu'on pourrait les laisser exprimer légalement leur haine ici au nom d'un supposé multiculturalisme « radical » ? Que les politiques libérales y mènent sournoisement ? C'est tout aussi faux, l'incitation à la haine ici est un crime, les menaces de mort tout autant, et personne ne suggère la moindre tolérance à ce sujet.

Pas grave, vous aurez deviné qu'il s'agit ici (ô combien subtilement !) d'associer les politiques d'immigration et d'intégration libérales à ces dérives violentes et effrayantes d'extrémistes musulmans.

On a compris que Bernier, après avoir renié la science, s'essaye encore dans un numéro d'imitation misérable de Trump.

Il ne manque pas de critiques du multiculturalisme canadien comme théorie du vivre-ensemble, partout au Canada, et en particulier au Québec - Gérard Bouchard plaide pour un « interculturalisme ». Mais y adjoindre le terme « radical » et, surtout, l'associer comme s'il y avait un rapport de cause à effet à des appels au meurtre est malhonnête et répugnant.

Le plus urgent en ce moment est de protéger cette femme et sa famille, qui eux sont menacés pour vrai. Ce n'est pas la seule menacée par les talibans et leurs fidèles, loin de là. Mais Asia Bibi a valeur de symbole universel, comme Salman Rushdie.

Et justement, parce que toutes les valeurs ne sont pas égales, la meilleure manière de défendre la règle de droit est de lui sauver la vie. Pas de faire peur au monde sur son dos.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Il y a huit ans, Asia Bibi a été condamnée à la mort par pendaison au Pakistan. Le crime de cette mère de cinq enfants, qui travaillait dans une ferme ? Blasphème contre la religion musulmane.

Photo ASIF HASSAN, archives Agence France-Presse

Manifestation à Karachi contre la libération d'Asia Bibi, qui était condamnée à mort pour blasphème contre la religion musulmane