Donald Trump qui parle de civilité, c'est comme un lion qui cause végétarisme. Jamais un président américain n'a dégradé la fonction comme lui par la parole.

Pas seulement par la parole, d'ailleurs. On n'a pas besoin de comprendre les mots. Je l'ai dit déjà : je rêve de ne plus comprendre l'anglais pour être en contact direct avec la seule vibration de la hargne essentielle qui émane de ce corps.

Même quand il dit « passe-moi le beurre », je suis certain qu'on entend comme un sifflement de haine venu du ventre.

Écoutez-le, mais ne portez pas attention aux mots pendant deux minutes. L'articulation de la bouche, la posture, la façon de cracher les mots, ces yeux qui regardent par en dedans... Tout respire le ressentiment.

Pour autant, attribuer à Donald Trump la responsabilité des « colis suspects » envoyés à des démocrates ou à des adversaires politiques éminents, c'est un peu trop facile, un peu trop tentant.

On cherche une preuve tangible des méfaits de ce discours politique dégradé. Ah ! Vous voyez, des gens sont attaqués, des médias sont ciblés, on leur envoie des bombes...

Sauf qu'on ne sait pas encore qui a fait le coup.

La question « à qui profite le crime ? » est le deuxième piège à con du droit criminel - le premier étant « il n'y a pas de fumée sans feu ».

La question est bonne pour établir une liste de suspects potentiels. Le problème, c'est qu'on l'utilise souvent pour tirer des conclusions plutôt que pour démarrer une enquête.

À qui profite le crime ? À un illuminé admirateur de Trump qui veut détruire des symboles politiques détestables ? Ou à un illuminé démocrate qui veut prouver que Trump engendre de la violence politique ?

On n'en a pas la moindre idée.

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L'autre raison pour laquelle il faut se garder de conclure à une responsabilité directe de Trump, c'est que la violence est partout dans l'histoire politique américaine.

Pas besoin de remonter à la guerre de Sécession ou à l'assassinat de Lincoln. Je ne parle même pas des meurtres de John F. Kennedy ou de son frère Robert, je laisse de côté celui de Martin Luther King et la tentative de tuer Ronald Reagan.

Mettez bout à bout les actes de terrorisme intérieur aux États-Unis et tentez ensuite de les relier rationnellement à un discours ou une politique gouvernementale.

Bonne chance.

Le 19 avril 1995, quand 168 personnes sont mortes à Oklahoma City dans un attentat à la voiture piégée, Bill Clinton était président. L'auteur voulait protester contre les actions de la police fédérale contre une secte à Waco, au Texas, en 1993, où 82 personnes sont mortes. C'était dans les premiers mois de la présidence Clinton. Deux ans plus tard jour pour jour, l'explosion ravageait cette ville.

Une semaine après les attentats du 11 septembre 2001, de grands médias (ABC, NBC, CBS, mais aussi le New York Post et le National Enquirer) et deux bureaux de sénateurs catholiques ont reçu des enveloppes contenant de l'anthrax. Cinq personnes sont mortes en les manipulant. Un scientifique s'est suicidé en 2008 juste avant d'être accusé. Ses motifs ? Il semble qu'il s'estimait injustement traité après avoir créé un vaccin.

L'an dernier, c'est un militant « progressiste » qui a tiré sur un élu républicain pendant un entraînement la veille d'une partie de baseball pour une organisation charitable. Avant que les faits ne soient connus, on aurait pu imaginer qu'un partisan du « deuxième amendement » (sur le droit de porter des armes) avait tiré sur un démocrate.

Bref, à part le fait non négligeable qu'on ne sait rien des détails de l'affaire ni du danger réel de ces engins suspects, mieux vaut ne pas dessiner une relation de cause à effet entre une présidence X et des actes criminels plus ou moins (ou pas du tout) fous.

La même réserve s'applique à cette présidence objectivement décadente et délinquante.

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Je ne dis surtout pas ça pour nous rassurer. Tout ce que je viens d'avancer n'enlève rien à la gravité de la situation politique américaine. La trumpisation du discours politique est bien plus dangereuse que ces attentats spectaculaires, qui n'ont fait aucune victime. La méfiance envers les institutions qui sont les piliers de l'État de droit est maintenant légitimée par le supposé gardien de la Constitution américaine. Je ne parle même pas des médias. Ce politicien prétendument pour la loi et l'ordre, qui a été soutenu massivement par tout ce que le pays compte de policiers, de douaniers, de militaires et par divers agents de la paix, ce président-là est celui qui a tenu le discours le plus agressif envers le FBI et la CIA. Celui qui a attaqué le système judiciaire chaque fois qu'il était agacé par une décision.

Toute cette déconstruction verbale de l'idéal démocratique américain, cet incendie de l'oeuvre de Jefferson, voilà ce qui est criminel.

Même si cette démocratie, comme toutes les autres, n'a jamais été achevée, c'était un idéal à poursuivre, une histoire qui se voulait exemplaire.

Plus maintenant : celui qui la représente la méprise ouvertement, en sape les fondements mêmes.

Voilà ce qui est nouveau, voilà ce qui est pervers et durable, voilà ce dont il est directement responsable.

À moins qu'il ne soit que le symptôme de cette décadence. Cette semaine même, un ancien président de la Réserve fédérale (rarement dirigée par des communistes) disait que les États-Unis sont en train de devenir une ploutocratie, c'est-à-dire un système où le pouvoir est détenu ouvertement par quelques super-riches.

Qu'il soit la cause ou l'effet, ça ne change pas grand-chose.

Ce président suspect, dangereux, n'a pas été livré par la poste.