Appelez ça un baume sur une plaie ouverte : David Rudisha a conservé son titre pour le Kenya au 800 m. Après une année de mauvaises nouvelles, d'arrestations, de preuves de corruption et de dopage généralisé, cette victoire est une des plus douces que le pays pouvait espérer.

Personne n'avait réussi ce doublé depuis Peter Snell en 1964. Et que ce soit accompli par un coureur aussi charmant, ça tombe bien. Rudisha est généralement épargné par les soupçons de dopage - encore que, bien sûr, personne ne l'est plus.

Deux petits tours de piste courus à la limite du supportable et qui pour ça sont interminables : c'est le 800 m. La course est partie sur un rythme très sérieux... Premier tour en 49,3 secondes, à deux centièmes de ce que Rudisha a fait à Londres en 2012 quand il est parti tout fin seul pour aller battre son propre record du monde.

Il allait remettre ça ? Sauf que le Kényan qui infligeait ce rythme, ce n'était pas Rudisha. C'était Alfred Kipketer. Et ce jeune de 19 ans n'avait pas ce qu'il fallait sous le capot pour tenir la route. Si bien que Kipketer a explosé dès le deuxième tour pour terminer avant-dernier. Il est passé comme une balle aussi dans la zone mixte, devant les collègues kényans médusés. Pas un mot.

« Je n'ai pas compris sa stratégie », a dit le Français Pierre-Ambrois Bosse, quatrième. Il n'était pas le seul.

Pourtant, l'oncle David, dit le roi, avait bien expliqué sa stratégie aux deux autres Kényans : il allait prendre le contrôle de la course.

Et voilà comment le Kenya a été privé d'au moins une autre médaille.

Ce n'était pas un soir de record du monde (1 min 40,91 s). Le « ralentissement » de Rudisha lui a tout de même laissé le meilleur temps de 2016 (1 min 42,15 s).

Profitant de l'indiscipline de Kipketer, c'est l'excellent tacticien algérien Taoufik Makhloufi qui est allé cueillir l'argent, comme il avait cueilli l'or à Londres sur 1500 m.

Makhloufi a créé une certaine surprise avec cette médaille d'argent. Mais la première surprise, en fait, c'était qu'il prenne part au 800 m. Grosse controverse en Algérie : dès ce matin 10 h, il doit s'aligner pour se qualifier au 1500 m. En ayant couru un 800 m 12 heures plus tôt ? Alors que sa spécialité est le 1500 m et que, de toute façon, il ne battra jamais Rudisha ? Il risque de tout rater !

C'est ce qui se disait dans les cafés d'Alger, d'après mon collègue du Temps.

« Les gens disent toutes sortes de choses, ça ne me dérange pas, a répondu Makhloufi dans la zone mixte. C'est moi qui cours, je sais ce que je fais ; je n'ai pas couru pour l'or [hier] soir, je savais que Rudisha était intouchable. Je voulais une médaille et grâce à Dieu, grâce à ma famille, je l'ai eue », a-t-il dit à mes collègues algériens après les avoir tous embrassés - merci pour la traduction.

Il rafle au passage un record national (1 min 42,61 s), dans un pays qui a tout de même une sacrée tradition dans le demi-fond.

Il sera donc là ce matin pour entreprendre la défense de son titre.

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La vraie surprise, c'est la médaille de bronze de l'Américain de 21 ans Clayton Murphy (1 min 42,93 s). Il a battu son record personnel d'une seconde et demie. Personne ne le voyait là.

« C'est un coureur très intelligent, il a de l'avenir ; il a le genre de personnalité qui comprend bien », a dit Rudisha, qui n'avait jamais couru contre ce blanc bec. Il aurait pu ajouter : plus que Kipketer.

« Je m'attendais que ce serait vite, mais pas tant... Ça a rendu la course intéressante ! Moi, si je finissais huitième, je finissais huitième... J'ai décidé de me tenir en avant... », a dit Murphy, déjà tout émerveillé de simplement prendre part à cette finale. On n'avait pas vu un Américain médaillé au 800 m depuis 1992.

Une chance que ce nouveau venu n'a pas écouté les faiseurs de prédictions.

Plus exceptionnel : on n'avait pas vu quelqu'un gagner l'or deux JO de suite depuis le Néo-Zélandais Peter Snell, en 1964. Et on n'en verra pas un autre de sitôt...

Ça fera, pour quelques heures au moins, un sujet de conversation différent avec les mots « Kenya » et « athlétisme ».