Demain, on saura si la Russie est bannie de l'athlétisme aux Jeux olympiques de Rio pour cause de dopage. On saura aussi si les choses ont un peu changé pour vrai.

Ce serait la première fois que tous les athlètes d'un pays seraient bannis pour cause de tricherie systématique et organisée.

«Quant à moi, il n'y a pas d'autre option raisonnable», a dit Dick Pound, hier, dans un entretien téléphonique. L'avocat, membre du Comité international olympique (CIO) et président fondateur de l'Agence mondiale antidopage (AMA), est aussi l'auteur d'un rapport dévastateur sur l'athlétisme russe pour le compte de l'AMA.

La Russie est déjà suspendue. Il reste à l'Association internationale des fédérations d'athlétisme (IAAF) de décider ou non d'une réintégration.

«Je n'ai pas vu les preuves les plus récentes, mais il m'est très difficile de conclure que la Russie a fait tout le nécessaire pour redresser son système de contrôle antidopage, a indiqué M. Pound. Tant que le ministre des Sports [Vitaly Mutko] va dénoncer les enquêtes, ça n'envoie pas un très bon signal, et ma recommandation serait plutôt négative.»

Le ministre avait qualifié de «très politique» le rapport de Dick Pound. La vraie corruption était à l'IAAF, a-t-il dit (on a vu que là-dessus, il n'avait pas tout faux!). Mutko, plus tard au printemps, a jugé «absurdes» les allégations d'un ancien responsable de l'antidopage russe, Grigory Rodchenkov, voulant que les athlètes russes à Sotchi aient été systématiquement dopés, sous le contrôle des services secrets et de l'État.

Le ministre Mutko a déclaré plus tard que la Russie avait «honte» et ferait «tout» pour que ses athlètes soient aux Jeux.

Une enquête, menée par le Canadien Richard McLaren, a été déclenchée au sujet du dopage à Sotchi. Les résultats sont attendus le 15 août et peuvent mener au bannissement de la Russie... dans tous les sports olympiques.

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Bannir la Russie de l'athlétisme aurait évidemment des conséquences politiques majeures. «Ce sera une bombe de toute manière, qu'ils viennent ou pas. Mais à Los Angeles, l'URSS et les pays du pacte de Varsovie étaient absents et le mouvement olympique a survécu. À Moscou, les États-Unis étaient absents et les Jeux ont eu lieu. Le risque le plus grand, c'est de ne rien faire. Ce qui menacerait le mouvement olympique le plus, ce serait qu'il n'y ait aucune sanction.»

Pas plus tard qu'hier, le Guardian a rapporté que deux membres «très respectés» de la commission athlétique du CIO ont écrit une lettre confidentielle au CIO et à l'AMA pour dénoncer leur inaction dans le dossier du dopage et de la Russie. Le système actuel, où chaque pays est responsable de ses propres contrôles, est non fonctionnel et non crédible et met en péril l'intégrité du sport, disent-elles en substance.

Ces deux athlètes sont l'escrimeuse allemande Claudia Bokel et la fondeuse canadienne Beckie Scott - qui a gagné l'or à Salt Lake City... après que les deux skieuses l'ayant devancée eurent été disqualifiées pour dopage.

La pression est immense pour que le CIO et l'AMA agissent avec fermeté.

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Hier, le New York Times a rapporté que l'Agence mondiale antidopage avait eu des informations depuis plusieurs années mais qu'elle n'avait jamais voulu enquêter. Une athlète russe, Darya Pishchalnikova, médaillée d'argent à Londres au lancer du disque, avait écrit en décembre 2012 pour se dénoncer et dénoncer le dopage organisé dans son pays. S'il vous plaît, enquêtez, «je veux coopérer avec vous». Rien, apparemment, n'a été tenté.

«L'AMA, c'est un work in progress qui n'avait pas au départ les ressources humaines et financières pour faire ce genre d'enquête», a dit Dick Pound, qui a quitté l'AMA en 2007.

«Mon impression, c'est qu'ils ne savaient tout simplement pas quoi faire avec ce genre d'information. N'oubliez pas qu'il ne faut pas mettre en danger les sources. Il a fallu que des athlètes russes quittent le pays pour nous parler dans notre enquête [de l'an dernier, sur l'athlétisme]. Il a fallu cacher des athlètes. Si nous avions confronté les autorités russes, elles auraient identifié immédiatement nos sources.»

L'article du Times cite abondamment le Dr Arne Ljungqvist, présenté comme «un pionnier de la lutte antidopage». Le médecin de 85 ans critique sévèrement le CIO et l'AMA pour leur inaction fondée sur des motifs politiques.

«Ça me fait rire de lire ça, le Dr Ljunqqvist réécrit l'histoire; il était l'adjoint médical de Primo Nebiolo, quand il était président de l'IAAF. Ce sont eux qui ont laissé courir Carl Lewis, après un contrôle antidopage: il avait dit avoir absorbé des substances antidopage par inadvertance. Je crois qu'il est mal placé pour critiquer le laxisme.»

Demain à Vienne, à 50 jours des Jeux, l'IAAF joue sa réputation et celle du mouvement olympique avec cette décision historique.