Les Jeux olympiques de Rio devraient-ils avoir lieu ? Comique que ce soit un minuscule moustique qui, finalement, menace de péter la balloune olympique. Comme si tout ce qu'il y a de pourri, qui s'additionne Jeux après Jeux, était vaguement tolérable.

On a développé des anticorps contre la corruption, les dépenses orgiaques, la tricherie organisée, la récupération politique, le blanchiment des dictatures, la commercialisation, la sécurité paranoïaque et ruineuse, qui rivalise avec les menaces terroristes crédibles...

Non, vraiment, tout ça, bof, on peut faire avec.

Mais pas le Zika !

Il est un peu tard pour poser la question, vous me direz. N'empêche : 150 médecins et spécialistes en santé publique ont écrit hier à l'Organisation mondiale de la santé pour qu'elle recommande le déménagement des Jeux ou leur report.

Leur crainte : le demi-million de personnes du monde entier qui vont converger vers le Brésil risquent d'être infectées par le virus du Zika, de le ramener dans leur pays et de créer une pandémie. Le virus est transmis par un moustique. La personne infectée peut ensuite être piquée par un insecte dans son pays ou transmettre le virus sexuellement. Le virus pourrait ainsi migrer en Inde, en Chine, etc. Sans compter que le même insecte transporte également dans ses bagages la dengue, une infection encore plus sympathique vous donnant une sorte de grippe qui peut dégénérer en hémorragie et même, pourquoi pas, entraîner la mort au terme d'atroces douleurs.

Va-t-on déménager les Jeux ? Bien sûr que non. Ce serait comme démonter des pyramides d'Égypte pour les reconstruire ailleurs : ça se fait, mais c'est un peu compliqué.

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C'est vrai, on prédit souvent la catastrophe avant les Jeux olympiques. On additionne les coûts. On soustrait les pertes touristiques (il est prouvé maintenant que la tenue de Jeux olympiques fait baisser le tourisme dans les pays démocratiques). On raconte les histoires d'expropriés. D'ouvriers mal traités.

Et, règle générale, tout se passe plutôt bien.

Enfin, entendons-nous : le show de télévision se passe bien. Les compétitions se déroulent à l'heure, les athlètes sont en sécurité, les performances sont spectaculaires, les médias en ont pour leur argent.

Mais quand, deux ans après Sotchi, on apprend que le dopage était non seulement systématique dans l'équipe russe, mais que les services secrets (FSB, ex-KGB) eux-mêmes étaient apparemment impliqués dans un système criminel de truquage des échantillons... Que des responsables du dopage sont morts mystérieusement cet hiver... Qu'est-ce qui a fonctionné, au juste ? La construction pour 50 milliards d'une nouvelle station balnéaire, d'un centre de ski, de stades, d'infrastructures à l'avenir douteux ? Une victoire russe achetée par le dopage d'État ? Ne parlons pas de la naturalisation à grands frais de sportifs étrangers ayant procuré plusieurs médailles d'or à la Russie...

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Ce n'est pas un ennemi de l'olympisme qui vous parle. J'ai couvert trois Jeux olympiques et j'attends mon visa pour le Brésil.

À Londres, j'étais dans le stade le jour où Usain Bolt a gagné le 200 mètres, juste avant que le Kényan David Rudisha ne parte seul devant tout le monde pour remporter le 800 mètres et battre son propre record du monde - ce qui n'arrive pratiquement jamais aux JO. C'était ahurissant. Sebastian Coe, ex-champion du demi-fond britannique et président du comité organisateur, avait dit de Rudisha qu'il avait produit « le moment de course le plus extraordinaire [qu'il ait] jamais vu ». Le Britannique Mo Farah, qui remporte le 5000 mètres et le 10 000 mètres dans un stade en délire.

Quatre ans plus tard... C'était bien vrai, tout ça, ou c'était du toc ? Aucun de ces coureurs n'a eu de contrôle positif ni même été sérieusement soupçonné. Leur progression n'a rien de louche.

Mais tout de même... Plus de 40 Kényans ont été suspendus pour dopage depuis quatre ans. La Fédération internationale d'athlétisme n'a pas encore autorisé les athlètes du Kenya à participer, en attente d'une réforme crédible du système antidopage.

Le coach de Mo Farah, le légendaire Alberto Salazar, fait l'objet d'une enquête de l'agence antidopage américaine pour des allégations concernant un de ses protégés, l'Américain Galen Rupp.

Six des douze finalistes du 1500 mètres des femmes à Londres ont été reconnues coupables de dopage !

En plus des 31 cas de dopage issus de nouvelles analyses des échantillons des Jeux de Pékin, hier, on apprenait que la réanalyse des échantillons de Londres avait permis de découvrir 23 nouveaux cas. Ce n'est évidemment pas celui qui est arrivé dernier à l'équitation qui est retesté. Ce sont les vainqueurs. Quand les noms seront connus, l'olympisme sera seulement un peu plus flétri...

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On pourrait ajouter la crise politique et sociale au Brésil. Et le fait qu'on y a englouti des milliards pour des Jeux tandis que l'économie du pays s'écroule.

Chaque fois que les citoyens d'une ville occidentale ont l'occasion de se prononcer par référendum sur une candidature olympique, c'est « non ». Et pour cause. Régis Labeaume soulève un autre problème majeur du mouvement olympique : comment sont prises les décisions ? Le processus est-il vraiment impartial ? Une enquête de corruption (une autre !) touchant l'obtention des Jeux par Tokyo pour 2020 est en cours...

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Paul Houde a déclaré officiellement s'en aller à la pêche cette année, tellement il est écoeuré par les scandales de dopage. Pour qu'un fou d'athlétisme comme lui déclare forfait, faut tout de même que les choses soient à un point de dégradation...

Je comprends bien. En même temps, ce n'est pas plus juste pour tous ceux qui sont honnêtes. On tirerait la plogue, là, juste avant les Jeux ?

Ils auront lieu. Sauf que ces Jeux seront recouverts de doutes et d'amertume. Au point de poser aussi fortement qu'au moment des boycotts massifs la question de la survie même d'une institution contaminée.