Mon collègue Mario Girard demandait hier dans le cahier des arts : « Peut-on dire qu'on aime Céline ? »

Sérieux ?

C'est vrai, il existe un snobisme culturel occidental qui fait regarder de haut toute la culture pop, surtout quand elle atteint une dimension planétaire qui rend impossible d'y échapper. Céline Dion est une cible parfaite. Mario résume bien le procès assez méchant qu'on lui fait généralement : trop de voix, trop de bons sentiments, trop de toutes sortes de choses qui donnent le diabète de type 2.

Mais ce n'est pas pour rien que l'auteur du livre est Canadien anglais. Au Québec, ces choses-là ne sont jamais dites à heure de grande écoute ou imprimées. Céline Dion est une intouchable. Elle a atteint un statut mythique qui dépasse de loin la chanson, comme Maurice Richard n'avait plus à voir qu'avec le hockey.

Pour un intellectuel new-yorkais, parisien ou torontois, aimer une chanson de Céline Dion peut en effet entrer dans la stupide catégorie des « plaisirs coupables » (expression que j'exècre aussi). Au Québec ? Jamais de la vie !

On l'imite peu, ou alors jamais méchamment. Elle est entourée d'une aura de bienveillance. Ceux qui la critiquent le font à leurs risques et périls.

On vit en fait dans un environnement de déplaisir coupable : mieux vaut se taire si on n'aime pas.

C'est la patrie qu'on attaque. On risque de vous accuser de trahison et, pire, d'élitisme, un crime culturel capital.

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Le snobisme ultime consiste chez certains représentants du milieu culturel québécois à louer exagérément Céline Dion. Le meilleur exemple est incarné par Denise Bombardier, qui a accroché le wagon de sa pensée sociologique au train de la reine de la pop.

Je ne dis pas que tous ces gens n'ont pas une admiration sincère. Mme Bombardier vibre clairement de tout son être au son de Céline. Tant mieux !

Je m'amuse seulement de voir à l'oeuvre ce presque-rien... ce je-ne-sais-quoi de mauvaise foi chez ceux qui dans le civil portent le macaron de la culture d'élite, qui en général lèvent le nez sur la musique pop, et qui manufacturent sans retenue des éloges pour Céline. La même mauvaise foi, mais en sens inverse, des critiques excessives et qui sombrent dans le délire de férocité.

Passé un certain seuil, ça sonne faux...

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Soyons sérieux. Céline Dion jouit d'une immunité critique relative au Québec. Pour toutes les bonnes raisons : un talent exceptionnel, un succès sans pareil qui dure, une personnalité archisympathique, un parcours sans fautes, des bonnes causes, des bons mots, un lien indéfectible avec ses origines, le Québec tatoué sur le coeur, enfin bref : c'est beaucoup plus qu'une chanteuse.

C'est un symbole improbable de succès. Une astronaute de la chanson. Y en a pas beaucoup, en fait, y en a pas du tout. Il est normal qu'on la vénère comme un trésor national.

Le problème n'est donc vraiment pas de déclarer qu'on « aime Céline ». Au contraire, ça règle tous les ennuis, ça évite les chicanes de famille ou de bureau, personne n'ira vous contredire tout haut.

Le vrai problème, c'est quand on n'a absolument rien contre, qu'on l'admire même, qu'on ne voit pas pourquoi on déchaînerait son mépris sur une artiste qui ne l'a pas mérité... Mais... que sa production nous laisse généralement indifférents.

On n'a nulle place où aller le dire... En fait, ça ne se dit pas.

Céline Dion, c'est comme la chasse. Je suis absolument pour. C'est juste que j'aime mieux que quelqu'un d'autre s'en occupe. Ça ne m'intéresse pas. Je n'en tire aucune fierté. Je ne le revendique pas. Je ne change pas de poste quand j'entends une de ses tounes à la radio. Il y en a de vraiment bonnes. Je lui souhaite un immense succès jusqu'à 90 ans. Mais il ne me viendrait jamais à l'idée d'aller voir un show ou d'acheter un disque d'elle.

Est-ce qu'on peut dire ça sans que ce soit une « posture » ? Sans mépris, en tout respect même ? Juste parce qu'on le voit ainsi ?

Pas sûr.