Dans ce métier, on n'a pas l'habitude - ou l'occasion - de souligner ce qui fonctionne. Les journalistes sont surtout là pour montrer les dysfonctionnements et, comme vous savez, on ne manque pas de sujets. C'est notre rôle, que voulez-vous ? C'est comme une tournure d'esprit.

Je me souviens d'une entrevue de Jean-Pierre Ferland dans le magazine des journalistes, le Trente. Il parlait de la critique, évidemment. Au passage, il disait combien il avait été heurté par une chronique où je parlais de sa « pire » chanson, que l'ex-maire de Montréal, Pierre Bourque, trouvait emblématique de sa ville - Montréal est une femme.

Je me suis dit : c'est tout de même con, parfois, ce métier. C'est correct qu'il soit froissé, je ne regrette pas ce que j'ai dit non plus. C'est plutôt ce que je n'ai pas écrit qui m'embête. Je n'aurai peut-être écrit qu'une seule ligne sur Jean-Pierre Ferland dans toute ma carrière, et ce sera pour parler de cette chanson-là. Je n'aurai jamais rien écrit sur Écoute pas ça, Jaune, Soleil, sur Qu'est-ce que ça peut ben faire ? Je n'aurai pas dit une seule fois que c'est un artiste immense ? Me semble que ça n'a pas sens.

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Même chose - presque - pour les nominations de juges. De combien de papiers me suis-je fendu pour critiquer le processus de nomination des juges dans ce pays ? Trop, je sais.

Aussi, quand une trop excellente nouvelle arrive dans le domaine, je suis incrédule.

Quoi, le gouvernement libéral de Philippe Couillard vient de nommer l'ancien ministre péquiste de la Justice Bertrand St-Arnaud à la magistrature ? C'est une blague ? Eh non, ce n'est pas une blague, l'homme siégera à la chambre criminelle de la Cour du Québec à Valleyfield. La ministre Stéphanie Vallée l'a annoncé mercredi.

C'est une excellente nomination parce que M. St-Arnaud est un criminaliste d'expérience, respecté, intègre, de bon jugement, enfin bref un candidat parfait pour le poste.

Mais c'est surtout la preuve qu'on a un processus de nomination qui est capable d'être totalement non partisan. Je suis convaincu que quelques députés libéraux ont hurlé, au moins intérieurement, en apprenant que l'ex-procureur général dont ils réclamaient naguère la démission va maintenant rendre justice.

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Il est arrivé à l'occasion que des sympathisants de partis opposés soient nommés par un gouvernement ici ou là. Il est surtout arrivé que d'anciens militants politiques ou politiciens soient nommés par « leur » parti à la pelletée. Mais à ma connaissance, jamais un homme politique avec un poste aussi important n'avait été nommé par le parti qu'il a combattu aux dernières élections.

Bien sûr, chaque fois qu'un militant ou donateur est nommé par le parti qu'il favorise, on nous assure que c'est uniquement sur la base du mérite. Il serait injuste que l'action politique à quelque niveau que ce soit empêche d'accéder à la magistrature, n'est-ce pas ? Le problème, c'est que ça a généralement l'air d'une récompense, comme quand Jean Chrétien a nommé l'ex-premier ministre de Terre-Neuve, Clyde Wells, directement juge en chef de la Cour d'appel de sa province.

On peut être premier ministre et devenir un excellent juge. D'ailleurs, Wade MacLauchlan, premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard, ex-prof de droit, bilingue, est parmi les noms parfois cités pour remplacer le juge Thomas Cromwell à la Cour suprême (en plus des Acadiens Lucie Lavigne et Marc Richard et quelques autres). Simplement, l'argument de la compétence est plus convaincant quand le processus est transparent, crédible, non partisan.

La nomination de Bertrand St-Arnaud envoie ce message bienvenu de dépolitisation des nominations.

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Depuis le rapport de la très critiquée commission Bastarache, le processus de nomination des juges au Québec a été resserré. Un comité indépendant choisit une courte liste des trois meilleurs candidats pour chaque poste de juge ouvert. Le gouvernement choisit dans cette liste.

Au fédéral (Cour supérieure, Cour d'appel, Cour fédérale, Cour de l'impôt), un comité de tamisage dans chaque région du Canada dresse une liste de candidats simplement « aptes » à être juges. Une banque secrète de plusieurs dizaines de noms est ainsi créée, dans laquelle la ministre de la Justice fait son choix. Il y a beaucoup plus d'espace à la préférence politique. Serge Ménard, ex-ministre de la Justice péquiste, a vite compris qu'il ne serait jamais nommé, malgré sa réputation excellente de juriste.

Depuis l'élection du gouvernement Trudeau, aucune nomination n'a été faite au Canada. Il est question de revoir les comités. Les conservateurs y avaient ajouté un représentant de la police, avaient enlevé le droit de vote aux juges qui président ces comités et avaient accru le poids des représentants politiques.

Osera-t-on s'inspirer du modèle québécois ? Une autre occasion de voir ce que ça veut dire, « être en 2016 ».

En attendant, permettez qu'on souligne cette bonne nouvelle. Mais qu'on dise que ça ne devrait pas être une nouvelle. Ce devrait être la normalité des choses : un système de nomination au mérite.