Sam Hamad n'est sûrement pas très inquiet des conclusions du commissaire à l'éthique à son sujet. En cinq ans de travail, Me Jacques Saint-Laurent ne s'est pas distingué par sa férocité.

Des sept plaintes contre des députés qui ont donné lieu à un rapport de sa part, aucune n'a justifié la moindre sanction, même quand il a constaté un manquement.

Au sujet des interventions intempestives du ministre Gaétan Barrette dans la gestion du CHUM, il a estimé que la preuve n'était pas concluante.

Quand Pierre Karl Péladeau est intervenu au sujet des studios Mels, un dossier qui est lié à sa société Québecor, il a conclu à un accroc de bonne foi. Même chose lorsque la députée caquiste Sylvie D'Amours a pris part à une discussion pouvant concerner son entreprise agricole : un accroc mineur fait innocemment. On devine ce qui est arrivé quand l'ex-ministre Yves Bolduc a pris part à un vote destiné à lui faire rembourser sa prime de 200 000 $ pour la « prise en charge de patients » comme médecin de famille, pendant qu'il était dans l'opposition : faute certes, mais de bonne foi. Aurait-il dû s'abstenir d'exercer la médecine quand il était député de l'opposition (2012-2014) en touchant des primes qu'il avait fait instaurer ? Ah ça, seule sa conscience peut y répondre, de dire le commissaire.

Ce sympathique commissaire affectionne particulièrement l'article 99 du Code d'éthique, qui l'autorise à ne recommander aucune sanction.

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Beaucoup plus spectaculaire : le commissaire a été incapable de formuler le moindre reproche à l'ex-ministre Tony Tomassi, qui n'a pratiquement pas siégé deux ans durant après avoir été expulsé du caucus libéral. Sous prétexte qu'avant janvier 2012, l'assiduité n'était pas formellement inscrite dans le code des députés, le commissaire s'est senti incapable de le blâmer. Pourtant, avant même d'exercer « honnêtement » ses fonctions, il faut... les exercer ! Quand le nouvel article est entré en vigueur, il y avait déjà 16 mois que le député Tomassi se faisait porter pâle. Il a envoyé un premier billet de médecin. Le commissaire l'a jugé insuffisant. Un deuxième a été envoyé. Insuffisant aussi. Le commissaire a finalement imposé son propre médecin... et à la fin, le député a démissionné. Et tout est bien qui finit bien.

Non, vraiment, Sam Hamad peut dormir en paix.

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Le poste de commissaire a été créé en 2010 sous le gouvernement Charest pour répondre à l'avalanche de critiques et aux demandes de commission d'enquête. Les pouvoirs du commissaire, nommé aux deux tiers de l'Assemblée nationale, sont à la fois vastes et limités. Vastes parce qu'il n'y a pas de prescription dans la loi et qu'il y a place à beaucoup de discrétion et d'initiative de sa part. Il peut recommander des sanctions qui vont jusqu'à la destitution d'un ministre ou d'un député. En même temps, ces pouvoirs sont limités : il ne peut que recommander des sanctions... qui doivent être adoptées par un vote des deux tiers de la Chambre.

On devine que politiquement, il serait très difficile de s'opposer à une sanction recommandée par le commissaire. Mais comme on a vu, il n'a pas osé en donner l'occasion aux députés !

Les journalistes qui se souviennent du passage de MSaint-Laurent à la présidence de la Commission d'accès à l'information ne sont pas infiniment surpris de la tournure relativement mièvre qu'a prise cette fonction. MSaint-Laurent passait pour un éteignoir plutôt que pour un ouvreur de portes aux documents publics.

Non pas que le commissaire doive être un pourfendeur de politiciens. Mais qu'au moins on sente qu'il instille un peu de rigueur éthique à l'Assemblée nationale. Un p'tit coup de baguette, juste un p'tit blâme de rien du tout une fois de temps en temps, hum ? Juste crier « bouh ! » dans un corridor mal éclairé, pour que les gens marchent plus droit... Ce serait intéressant, je trouve...

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Le commissaire au lobbyisme, François Casgrain, au contraire, s'agite à gauche et à droite, fait des déclarations, des enquêtes, bref il prend la fonction au sérieux et occupe le terrain. On sera intéressé de lire d'ailleurs dans un document explicatif de cet autre commissaire que même si rien dans la loi ne vise directement les élus, on s'attend à ce qu'ils vérifient si leur interlocuteur est bel et bien enregistré comme lobbyiste... Pas impressionnant d'entendre Sam Hamad dire que ce n'était pas « sa job » de vérifier si le très enveloppant Marc-Yvan Côté était un lobbyiste officiel. Enfin, de ce côté-là non plus, il n'y a rien à craindre, les faits remontent à plus de trois ans...

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Me Saint-Laurent a eu le mérite de rédiger toute une série de recommandations l'an dernier pour renforcer son institution. Il a aussi annoncé des mois à l'avance qu'il partirait... le 1er janvier. Trois mois plus tard, on ne l'a toujours pas remplacé. Pourquoi ? On devine les tractations politiques pénibles qui président à l'élection aux deux tiers d'un commissaire. On devine aussi que cette approche bienveillante le rend très agréable à plusieurs de nos distingués parlementaires.

Aussi bien s'en passer s'il est dépourvu de mordant, me direz-vous. Eh non, ça a bien l'air que certains d'entre eux ont besoin d'un préfet de discipline pour leur rappeler des évidences.

Il serait temps d'en nommer un. Rapidement. Mais je suggère qu'on en vérifie la dentition au préalable.