Pourquoi pas des policiers-caméramans ?

Partout où l'on a installé des caméras sur les policiers, les résultats rapportés ont été spectaculaires.

Aucune étude vraiment scientifique n'a été faite, mais dans cinq villes américaines et britanniques, on a tout de même effectué des projets-pilotes sérieux. Il s'agissait généralement de munir un groupe important de policiers de ces caméras et de comparer leur comportement à celui du reste des policiers.

Partout, on a fait des constats similaires. Le nombre d'incidents violents signalés a chuté de manière significative, le nombre de plaintes des citoyens aussi - l'une parle d'une baisse de 16 %, l'autre de 88 %...

En attendant une « vraie » étude, pas besoin d'un doctorat en psychologie pour deviner que le comportement des gens filmés change. Policiers comme citoyens.

On conseille déjà aux policiers d'agir comme s'ils étaient filmés en permanence, ce qui n'est pas loin d'être vrai, et pas seulement dans les manifs. Mais ça vaut aussi pour les gens qui affrontent la police lors de tout type d'intervention. Dans certaines villes américaines, les policiers portent un écusson annonçant aux citoyens qu'ils sont filmés.

Sans les images, on s'en remet à la crédibilité des témoins, comme on dit. Or, quand vient le temps de choisir entre un représentant de l'ordre et « les autres », la balance de la justice penche assez souvent du même bord. Les « autres », ceux que la police a arrêtés, ont souvent un casier judiciaire, ou sont marginaux, ou ont eu un comportement jugé suspect. La police tire rarement dans les chambres de commerce.

Quelle crédibilité aurait-on accordée à l'homme de Charleston qui a vu le policier tirer dans le dos d'un fuyard afro-américain et le tuer s'il n'avait pas filmé la scène ?

En même temps, les syndicats de policiers sont largement favorables aux caméras. Les policiers s'estiment l'objet d'accusations injustes et de plaintes abusives. Ils veulent avoir leur propre preuve et ne pas être soumis aux captations vidéo qui ne racontent qu'un bout de l'histoire.

Tout le monde est content, alors ?

Presque...

FILMER, STOCKER, DIVULGUER

Il y a tout de même plusieurs problèmes à régler avant de commander 15 000 caméras - c'est le nombre de policiers au Québec.

D'abord, qui filmera quoi ? Quand ? Faut-il une caméra pendant tout le quart de travail ? Certaines sont équipées d'un dispositif qui empêche le policier de les éteindre.

Ensuite, que fera-t-on avec ces images ? Les projets-pilotes témoignent d'une baisse de la paperasse grâce à la diminution des incidents et à l'absence de contestation. Mais encore faut-il un système de classement et de stockage. La plupart de ces images doivent rester confidentielles, comme les renseignements policiers. Pendant combien de temps gardera-t-on les vidéos ? Ce qui est anodin aujourd'hui peut devenir pertinent dans six mois.

Ensuite, les accusés pourront réclamer les images dans le cadre de la « divulgation de la preuve ». L'exercice est déjà fastidieux dans le cas des enquêtes le moindrement importantes. La Cour suprême vient en outre de permettre une poursuite contre le Procureur général de la Colombie-Britannique pour une affaire de divulgation incomplète, mais sans mauvaise foi. Gare aux faux pas...

LES COÛTS DE LA POLICE

On en revient donc aux coûts. La Fédération canadienne des municipalités évaluait qu'entre 1999 et 2009 seulement, les coûts des services de police au Canada ont bondi de 6,4 milliards à... 12,3 milliards. Le poids sur les budgets des villes des services de police est à peine supportable  - plusieurs ont fermé le leur et ont recours à la Sûreté du Québec, dont une partie des coûts est refilée au Trésor provincial.

On nous dira sûrement qu'on fera de formidables économies - mais seulement après avoir dépensé plusieurs millions.

HOMICIDE JUSTIFIABLE

Il ne faut pas penser non plus que ces caméras régleront tout. C'est souvent la préparation de l'intervention qui pose problème, pas seulement le geste fatal ou violent, pris isolément. Quand le policier se retrouve face à face avec un homme en crise psychotique qui a un couteau, il est trop tard.

Il y a une question de mentalité et d'approche. Comment expliquer qu'aux États-Unis, entre 2003 et 2011, la police ait été responsable de 7427 « homicides justifiables » ? Au Royaume-Uni l'an dernier, une seule personne est morte aux mains de la police. En 2013, aucune. Zéro.

Le pays a beau être cinq fois moins populeux, on y connaît aussi des gangs, des désespérés, des terroristes, des émeutes...

Au Canada l'an dernier, 14 personnes sont mortes aux mains de la police. C'est trois de plus qu'en France, un pays qui compte deux fois plus d'habitants.

Alors, au-delà de la preuve vidéo qui disculpera ou inculpera le policier « hors de tout doute », posons-nous la question sur ce qui s'est passé... avant d'en arriver là.

Comment se fait-il qu'il ait fallu en arriver là plus souvent ici que dans d'autres pays ?

Voilà qui devrait aussi nous intéresser : ce qui a mené, plus souvent qu'ailleurs, à ce moment où tuer quelqu'un devient légalement « justifiable ».

Photo André Pichette, archives La Presse

Le Service de police de la Ville de Montréal avait équipé un de ses policiers d'une caméra GoPro lors de la manifestation contre la brutalité policière, en 2014. 

Photo Rick Wilking, Reuters

Plusieurs départements de police américains ont mené des projets-pilotes où leurs agents étaient munis d'une caméra à la boutonnière.