Comment ça, imprévisibles? Pour qui était-ce «inattendu» ? Le lieu exact, l'heure, la manière, oui. Mais les auteurs des assassinats de lundi et hier étaient connus des services de renseignement et de la police.

Assez, au moins dans le cas de Martin Couture-Rouleau, pour qu'on lui retire son passeport. Il a quand même continué à circuler et à planifier son attentat.

Bien sûr qu'on ne peut pas tout empêcher. Évidemment qu'on n'est jamais à l'abri du «loup solitaire». Mais on est devant deux cas suspects bien identifiés, repérés sur les radars de police.

Que s'est-il passé?

On nous dira que la loi ne permet pas de les arrêter, vu qu'on n'avait pas de preuve de complot. On n'arrête pas les gens sur la foi de simples soupçons. Certains s'interrogent sur les limites des pouvoirs policiers et se demandent s'il ne faut pas carrément limiter les libertés civiles et modifier la Charte des droits. Je comprends qu'on se pose la question si, comme le bloquiste Louis Plamondon, on est enfermé dans le parlement, qui résonne encore des bruits des coups de feu et qui sent encore la poudre.

Mais les lois ont déjà été changées. Encore faut-il s'en servir...

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Ce n'est pas d'hier que «les choses ne seront plus jamais les mêmes». C'est très officiel depuis le 11 septembre 2001. Hier, c'est simplement une nouvelle couche d'innocence qui nous a été enlevée.

Et parce que les choses «ne seront plus jamais les mêmes», la loi antiterroriste a été adoptée dès 2001. Avant de s'interroger sur les pouvoirs accrus à donner aux services de renseignement, on devrait peut-être relire ces dispositions insérées dans notre Code criminel.

On peut arrêter et emmener devant le juge une personne au sujet de laquelle on a des «motifs raisonnables de croire» qu'elle entreprendra une action terroriste. Pas un acte précis avec une date, un plan et des complices: pour ça, la règle du complot suffisait.

Non: simplement un possible terroriste. Une personne qui soulève des inquiétudes légitimes.

Si le juge croit que les motifs sont sérieux, il peut ordonner l'installation d'un bracelet électronique, le faire surveiller, limiter ses déplacements, ordonner un couvre-feu, interdire la possession d'arme ou de munition, etc.

Bien entendu, il faut une certaine preuve qui justifie la crainte.

On ignore ce que contiennent exactement les dossiers de la police et des services de renseignement. On sait cependant qu'on a empêché Couture-Rouleau de quitter le pays parce qu'on le soupçonnait de vouloir aller combattre avec des djihadistes de l'organisation État islamique.

Or, la loi ne permet pas de révoquer un passeport à la légère. Il faut pour cela que le ministre craigne pour la sécurité nationale ou celle d'un autre pays, ou qu'on utilise le passeport pour commettre un crime.

Dans le cas de Zehaf-Bibeau, le Globe and Mail rapporte qu'il était sur la liste des passagers à risque. La Presse a par ailleurs obtenu la confirmation qu'on lui avait retiré son passeport. Avec le passé criminel qu'on lui connaît et avec les renseignements colligés, pourquoi n'a-t-on pas utilisé ce mécanisme ?

Ajoutons que si les renseignements indiquent un soutien à un mouvement aussi sanguinaire que l'EI, ou à un groupe terroriste, on a de quoi ajouter au dossier. Comme l'a dit Gilles Duceppe cette semaine, à partir du moment où le Canada est en guerre contre un groupe, les tentatives de soutien ou les expressions de sympathie par des Canadiens sont certainement à prendre très au sérieux. Assez pour fonder une surveillance judiciaire dans certains cas.

Si des gens à qui on a retiré le passeport, connus comme de possibles combattants fanatisés ne sont pas des suspects à surveiller, qui l'est? N'est-ce pas exactement ce genre de cas qu'on visait?

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Nul besoin de bazarder les libertés publiques, donc. Il est peut-être temps que les responsables de la loi se déniaisent, par contre, et qu'on utilise la loi dans toute sa vigueur. Au moins pour les «loups solitaires» qu'on a déjà identifiés.

La Cour suprême, qui en passant s'est retrouvée dans le périmètre de sécurité hier, a plusieurs fois confirmé la validité des principales dispositions antiterroristes. Les peines sévères qui ont été infligées dans les affaires canadiennes de terrorisme ont été maintenues.

Il y a 10 ans, la Cour suprême écrivait que si «la réaction au terrorisme doit respecter la primauté du droit, il reste que la Constitution n'est pas un pacte de suicide».

Il est temps non pas de renier les libertés au nom de la sécurité. Il est temps d'être moins naïf. De relire cette loi... à la lumière de la réalité crue du terrorisme international. Se préparer au pire, vu qu'on sait un peu mieux qu'il peut arriver.

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca