Qu'est-ce qui est plus grave: vendre du pot ou tuer un enfant?

Moussa Sidimé, qui a tué sa fille en la giflant, a été condamné lundi à 60 jours de prison.

En 2012, une femme du Bas-Saint-Laurent a été condamnée à 15 mois de prison pour possession dans le but de trafiquer 380 grammes de cannabis.

Faut-il en conclure, en raccourci, que la vie d'un enfant vaut moins qu'un sac de pot? Évidemment pas.

Tous les commentateurs ont pourtant l'air de nous dire ça, en se scandalisant à l'unisson de la sentence «bonbon» ou «honteuse» infligée par le juge Richard Marleau lundi.

Je trouve également que cette peine est trop clémente. Mais elle n'est pas «honteuse». Le ministère public lui-même requérait une peine de deux ans. Les circonstances très particulières de cette triste affaire n'appelaient pas une peine sévère.

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Réglons tout de suite une chose. Nulle part le juge Marleau ne tient compte du «contexte culturel» pour atténuer la gravité du geste. Sidimé, en effet, est un Canadien d'origine guinéenne.

Le juge cite un ami de la famille qui «reconnaît qu'une gifle ou une tape sur les fesses n'est pas considérée comme un geste violent dans leur communauté». Il cite également une criminologue qui dit, dans le jargon des intervenants sociaux, que «la différence de référents socioculturels» a pu «s'avérer déterminante dans l'actualisation des gestes violents».

Nulle part il ne reprend ces propos à son compte, et encore moins n'en fait-il un facteur atténuant.

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Deuxièmement, les peines au Canada ne sont pas infligées uniquement en fonction du crime, mais en fonction du criminel. Non pas que le geste et ses conséquences n'aient pas d'importance, mais le degré de «responsabilité morale» de l'accusé est capital.

Il ne suffit donc pas de comparer les horreurs entre elles pour savoir quelle sentence rendre. La mesure de la tragédie ne nous dicte pas une conclusion. Sinon, un complot terroriste avorté, qui ne fait aucune victime, entraînerait une peine moins lourde qu'un vol à main armée avec un couteau en plastique.

Il faut donc se demander non seulement ce qui est arrivé, mais qui est le criminel.

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Que s'est-il passé? Moussa Sidimé est un architecte retraité de 74 ans. Il vivait à Longueuil avec sa femme et leurs trois enfants (il a des enfants d'autres unions).

Le 6 octobre 2010, il a une querelle avec sa plus jeune fille, Nouténé Sidimé, 13 ans. Il trouve qu'elle avait mal fait le ménage de la cuisine. Il croit qu'elle l'insulte. Il la gifle deux fois (avec la paume et le revers de sa main). Il quitte la cuisine. Il entend un bruit étrange et revient dans la cuisine. Elle est inconsciente. Il appelle le 911 et dit immédiatement qu'il l'a giflée. Il ne tente pas de camoufler son crime. Il avoue tout à la police.

L'enfant est morte deux jours plus tard.

L'homme a passé 19 jours en détention préventive. Il s'est avoué coupable. Il restait à lui infliger une peine pour cet «homicide involontaire».

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C'est «une simple gifle», a plaidé l'avocate de la défense, qui réclamait une absolution.

Non, a répliqué le juge Marleau: c'est un geste illégal [des voies de fait] qui a entraîné la mort. Il est d'autant plus grave qu'il s'agit d'un acte de maltraitance d'enfant et d'un abus d'autorité.

Les enfants et la femme de Sidimé ont témoigné. Ils ont dit n'avoir jamais été giflés ou maltraités par l'accusé - qui n'a jamais été accusé de quoi que ce soit par le passé. Nouténé n'avait aucune marque au corps et rien n'indique qu'il y ait eu d'autres incidents violents auparavant - elle avait au contraire une très bonne relation avec son père.

Le jugement n'est pas très explicite sur le degré de violence requis pour entraîner la rupture de l'artère vertébrale - qui a causé la mort -, mais la victime ne portait aucune marque au visage.

Bref, pour criminel qu'il ait été, le geste ne paraissait pas susceptible d'entraîner la mort.

Oui, direz-vous, mais l'enfant est bel et bien morte!

C'est vrai. Mais la notion d'homicide involontaire recouvre une telle gamme de gestes qu'il faut les distinguer pour ne pas mettre sur le même pied un geste irréfléchi, mais dangereux et un geste crapuleux.

On est ici, tragiquement, dans la première catégorie. Alors, où situer la peine entre le zéro et l'infini?

L'homicide involontaire est passible de l'emprisonnement à perpétuité, mais il n'y a pas de minimum pour cette exacte raison: il recouvre un champ trop vaste de cas de figure. Le meurtre, qui suppose la volonté de tuer, entraîne la perpétuité automatiquement.

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Aurait-il fallu, pour «rendre justice» à la petite Nouténé, envoyer son père au pénitencier pour le reste de ses jours? Le mettre sur le même pied qu'un assassin?

Non. Mais 60 jours discontinus, en plus des 19 purgés, ce n'est pas assez pour une raison fondamentale: ça ne dit pas assez la réprobation sociale de la violence faite aux enfants.

«Trop clément», cependant, ne signifie pas «honteux».

À moins de vouloir un système de justice à l'américaine, avec ses peines automatiques, toutes bien intentionnées, toutes faites pour «rendre justice aux victimes», mais qui créent plus d'injustices et d'inhumanité encore.