Ce n'était pas assez d'être obèse tout court, il a osé être ministre de la Santé?

Pauline Marois avait soulevé la question en 2012, quand Gaétan Barrette se présentait pour la CAQ. Un ministre de la Santé doit être «exemplaire», avait-elle dit. Son surplus de poids était donc un problème.

Dans un pays où la majorité a un surplus de poids et où un quart des gens sont obèses, ce n'était pas très habile. Mais avait-elle raison?

Un publicitaire de Québec a lancé cette semaine une pétition pour forcer le nouveau ministre libéral à adopter «de saines habitudes de vie». Quelques milliers de personnes l'ont signée.

Hé, qui est contre les saines habitudes de vie?

Mais que savent-ils des habitudes de vie de Gaétan Barrette?

Il y a des minces qui sont gelés une bonne partie de la journée ou de la nuit, en toute discrétion. De quel droit s'autorise-t-on à dicter un mode de vie aux seuls obèses, à ceux dont on pense pouvoir identifier un vice privé?

Être trop gros, ce serait montrer le «mauvais exemple». Un surplus de poids devrait vous confiner à la Consommation ou aux Finances, en somme?

À moins que l'obésité ne vous écarte de la vie politique pour cause de manque de moralité? On en est à peu près là: de la lutte contre l'obésité à la chasse aux gros.

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Certains commentateurs américains ont affirmé que Chris Christie, le corpulent gouverneur du New Jersey, était disqualifié comme candidat républicain à la présidence. Dans un pays qui compte un tiers d'obèses, comment pourrait-il convaincre les gens de manger moins? raisonnait un chroniqueur.

L'an dernier Time Magazine a titré son portrait de Christie «The Elephant in the Room». Légèrement plus subtil que «Gras dur», qui coiffait l'article d'un quotidien montréalais, photo à l'appui, sur la prime de départ du Dr Barrette de la Fédération des médecins spécialistes.

Depuis l'époque où William Taft (160 kg) est resté coincé dans la baignoire de la Maison-Blanche, il y a un siècle, les Américains n'ont pas réélu de président obèse.

Aux blagues faciles sur l'apparence (demandez à Lise Payette), on ajoute maintenant l'argument de «santé publique».

L'Organisation mondiale de la santé, comme les ministères de tous les pays occidentaux ne cessent de le répéter: l'obésité est un grave problème. Une pandémie.

Depuis 30 ans, le nombre de personnes obèses a triplé. Ça veut dire des gens qui vont avoir une multitude de problèmes de santé. Ça veut dire aussi des dépenses de plus en plus grandes. La Santé accapare 43% du budget du Québec. On estime que d'ici 15 ans, ce sera près des deux tiers. Et l'obésité y aura contribué.

Conclusion évidente: le ministre de la Santé, plus que quiconque, doit incarner la vertu des saines habitudes de vie.

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C'est un peu comme dire que le ministre des Sports doit courir le 100 mètres dans un temps décent. Marcel Aubut, qui n'a pas exactement un corps de décathlonien, a été reconduit dans son poste de président du comité olympique canadien. Il n'a aucun passé d'athlète. Mais on le paie pour financer et organiser le sport olympique. Et il semble le faire très bien.

Le ministre de la Santé est là essentiellement pour faire fonctionner un système en crise perpétuelle. Pour trouver la bonne manière de dépenser l'argent. Pour organiser le fonctionnement des hôpitaux, cliniques, CLSC, etc.

S'il se trouve en effet que le Dr Barrette est en mauvaise santé, c'est dommage... pour lui. Ce qui lui est demandé c'est de faire en sorte qu'on ait accès à des soins de qualité dans des délais raisonnables. Pas de passer un examen médical en public.

Ce qu'il devra démontrer, ce n'est pas sa capacité de perdre du poids en faisant de la rameuse dans le sous-sol de l'hôtel du Parlement. C'est de prouver qu'il n'est pas resté l'homme du lobby des médecins spécialistes.

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L'obésité a beau être un problème de santé, la solution est beaucoup plus du côté de l'éducation.

Tous ceux qui ont échappé à cette condition vous le diront: c'est un changement d'habitudes profond qu'il faut. Et socialement, c'est aussi un changement de culture majeur qui est à entreprendre. Et ça doit commencer à l'école. Avec des installations sportives, des activités, des plages horaires consacrées au sport. Et sans doute avec de meilleures habitudes alimentaires.

Ça, ce n'est pas dans les hôpitaux qu'on le fera - c'est là qu'on sent les effets catastrophiques de la sédentarité, par contre.

Au lieu de fixer son regard sur le poids santé du ministre, on devrait donc plutôt s'intéresser aux écoles.