Après l'affaire Guy Turcotte, les experts psychiatres ont été désignés comme la cause d'un verdict que le public a trouvé révoltant.

Le cas est extrême, et sans doute mal choisi. N'empêche: il remettait à l'ordre du jour le vieux débat sur le rôle des experts - pas seulement psychiatres - devant les tribunaux - pas seulement à la cour criminelle.

L'an dernier, l'Association des psychiatres du Québec a sondé ses membres sur la question.

Parmi ceux qui font des expertises pour la cour, 37% disent s'être fait demander «des modifications» à leur rapport par l'avocat qui les a mandatés. La plupart du temps (53%), l'avocat qui avait retenu leurs services demandait des modifications qui «nuançaient de façon minimale» l'opinion scientifique. Mais dans 5% des cas, on demandait à l'expert de modifier son opinion «substantiellement».

Les experts sont-ils là pour tordre leur savoir au bon vouloir des avocats?

En principe, évidemment, les experts sont là pour éclairer le juge sur des sujets complexes.

Mais la nature même du système, où deux parties s'affrontent, est une incitation à étirer les thèses dans le sens des intérêts de la partie qui les embauche. On demande aux experts de débattre de «vérités scientifiques» en tant qu'adversaires. Parfois en orientant les questions ou sans donner toute l'information.

Les psychiatres interrogés l'an dernier estiment très majoritairement que les expertises des autres sont de qualité et concordent avec leurs propres opinions (82%).

Il existera toujours des cas de désaccord entre experts et, dans bien des domaines, la science a ses zones grises.

La plupart des affaires se jouent cependant bien loin des confins de la science. Les débats d'experts portent souvent sur des questions relativement simples: la cause et l'étendue d'un vice caché, l'état psychologique d'une famille, la valeur d'une entreprise...

C'est dans ces causes pas si compliquées que les juges deviennent exaspérés devant l'enflure, l'inutilité et le coût des débats d'experts.

En 2003 déjà, le regretté juge Michel Proulx de la Cour d'appel avait dénoncé sévèrement le système qui favorise l'arrivée de «mercenaires». Il en appelait à des règles d'éthique claires pour les experts et une obligation de concilier les opinions.

Onze ans plus tard, la réforme arrive... à moitié.

Le juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland, est un partisan de l'expert unique, choisi par la Cour.

Le nouveau Code de procédure civile, adopté par l'Assemblée nationale le 21 février après des décennies de palabres, ne va pas jusque-là. On parle d'un «expert commun», mais à la guise des parties. Autrement dit, celui qui veut faire une bataille d'experts en a toujours les moyens.

«Je suis déçu que ça n'aille pas plus loin, ç'a été fait pour faire plaisir à tout le monde», dit le juge en chef.

Tout le monde? Comprendre: le barreau. Les avocats ont beaucoup de réticence à laisser le juge choisir l'expert systématiquement, d'autant qu'il a souvent un rôle déterminant dans la cause. C'est perdre le contrôle de son dossier en bonne partie. Tout n'est pas rose non plus là où c'est la règle - en Europe dans bien des cas.

N'empêche: la résistance est féroce. Quand la Cour supérieure a voulu instituer un projet pilote à Laval... les avocats ont fait en sorte que les causes avec expert soient transférées à Montréal!

«En matière familiale, les expertises psychosociales sont demandées par la Cour, elles sont gratuites, et ça fonctionne très bien», dit le juge en chef.

Pourquoi pas dans les autres domaines? Au Royaume-Uni, on vient d'introduire une réforme qui va limiter le choix et la quantité d'experts dans les dossiers.

La réforme québécoise donne aussi plus de pouvoir au juge - notamment de limiter le nombre d'experts à un par discipline et d'en appeler un de lui-même. On a aussi codifié les obligations des experts.

Mais pas assez pour «forcer les gens à se parler» dans tous les cas et réduire au maximum les chicanes judiciaires, leurs coûts et leur durée. Devant l'évidence «unique», les causes se règlent toujours plus vite...

On a tout de même progressé. Assez pour que les ordres professionnels se sentent obligés eux-mêmes de réfléchir à ce qu'est un «expert». Les experts n'honorent pas tous leur profession. Suffit-il d'avoir un diplôme?

Chez les psychiatres, on recommande que le Collège des médecins soit plus exigeant que les tribunaux. On ne devrait pas pouvoir se dire expert sans avoir une pratique professionnelle «pertinente et prépondérante» dans un domaine, en plus d'avoir des connaissances récentes. Une liste obligatoire d'experts agréés pourrait être créée.

Ça n'éliminera pas toutes les querelles, les contradictions, ni les verdicts impopulaires.

Du moins, ça enverrait le message que l'expert doit respecter un certain niveau. Et qu'il travaille d'abord dans l'intérêt général, l'intérêt de la justice.

Ce n'est pas toujours si clair, malheureusement...