Parlons plutôt de sexe, si vous voulez bien, c'est un sujet plus rassembleur, n'est-ce pas?

Vendredi, la Cour suprême nous a dit que de percer un condom peut transformer une nuit d'amour en agression sexuelle.

L'étonnant de l'affaire n'est pas le jugement: depuis longtemps déjà, les juges nous disent qu'un consentement obtenu frauduleusement n'est pas valide. Faire croire à une relation «protégée» qui ne l'est pas, ça annule le consentement. Une des «caractéristiques essentielles» du «oui» de la partenaire était précisément l'utilisation d'un préservatif. Sans consentement, ça devient une agression.

Bon.

La question véritable ici est la suivante. Craig Jaret Hutchinson, nous dit-on, sentait son couple battre de l'aile. C'est ce qui l'a incité à percer des condoms pour conserver l'affection de sa copine.

Mais quelle excellente idée! Quelques trous dans un condom, une grossesse non désirée et hop, madame est reconquise! Plus original que des fleurs, et pour une fraction du prix.

Quelques semaines plus tard, elle découvre qu'elle est enceinte. Il lui avoue le subterfuge.

«Tu as fait ça pour moi, vraiment? Tu les as percés toi-même? Je suis tellement touchée, tous ces minuscules petits trous, quelle délicatesse... Nous l'appellerons Jaret.»

C'était le plan, sauf qu'en amour comme en politique, des fois les plans foirent.

Retenons de cette triste histoire un enseignement utile, mesdames et messieurs (surtout messieurs, en fait): passé un certain point, la connerie devient franchement criminelle.

Le juge fantôme

Pendant ce temps, la vie continue à la Cour suprême, à huit juges.

La nomination du neuvième va-t-elle avorter?

Le juge Marc Nadon, semi-retraité de la Cour fédérale d'appel, a été nommé le 3 octobre à la Cour suprême... mais ne sait toujours pas si sa nomination est «légale».

Ça devient franchement embarrassant pour la Cour suprême.

La contestation de sa nomination (par un avocat torontois d'abord!) a été entendue le 15 janvier par le plus haut tribunal. Voilà donc presque deux mois que les juges délibèrent pour savoir s'ils ouvriront un bureau à ce nouveau venu.

Vu la relative urgence du dossier, c'est proprement renversant. La Cour suprême n'aura jamais été privée d'un juge pendant une aussi longue période. On devine donc que la juge en chef Beverley McLachlin doit être extrêmement impatiente.

Il est loin d'être impossible que la Cour soit divisée. Les juges McLachlin et Richard Wagner ont posé plusieurs questions difficiles au procureur fédéral, lors de l'audition.

Si tous les juges s'entendaient sur la légalité de la nomination, ils n'auraient qu'à rendre un jugement bref - en s'appuyant sur l'opinion favorable de deux anciens juges. Ils auraient même pu rendre leur jugement séance tenante, ou dans les jours suivants, quitte à écrire leurs motifs ultérieurement.

Mais non! Ça dure!

Deux mois à délibérer, pour savoir comment interpréter l'article problématique de la Loi sur la Cour suprême. Problématique parce que cet article énumère les lieux d'où peut provenir un des trois juges québécois de la Cour... sans mentionner la Cour fédérale.

La principale critique faite à cette nomination n'est pas ce problème technique; c'est plutôt le manque de lustre du candidat, qui a fait un travail honnête, mais rien pour se distinguer parmi l'élite de la profession.

N'empêche. Imaginons tout de même l'humiliation que subirait le gouvernement Harper, et le pauvre juge Nadon, si un seul des juges de la Cour suprême estimait sa nomination illégale. Comment siéger là après ça?

Ce serait une tache à la crédibilité du gouvernement, comme à celle de la Cour.

Tout ça parce que le gouvernement Harper a fait fi des candidatures de qualité, pour dénicher un juge aussi conservateur que possible.

Ça ne fait pas des enfants forts.

Toews à la Cour suprême?

On n'a rien vu encore en matière de politisation du judiciaire. Dans un geste inouï depuis des décennies, le gouvernement conservateur a nommé vendredi son ancien ministre de la Justice, Vic Toews, à la Cour supérieure du Manitoba.

Toews est un ancien procureur de la Couronne avec une bonne expertise en droit constitutionnel. Il a plaidé plusieurs fois à la Cour suprême.

Il est surtout un des ennemis déclarés d'à peu près tout ce que la Cour suprême a fait de la Charte des droits et libertés. Des droits des accusés à ceux des homosexuels, on peut le ranger dans la frange la plus à droite de son parti. Il a fait de nombreuses sorties pour dénoncer les décisions «politiques» des juges de la Cour suprême.

Il se trouve que l'un des deux juges de l'Ouest, le Manitobain Marshall Rothstein, doit prendre sa retraite au plus tard en décembre 2015.

Maintenant, le juge Toews serait bien installé sur son tremplin pour lui succéder.

Les conservateurs ont tant de difficulté à recruter des juges franchement conservateurs, de cette espèce qui veut interpréter la Constitution comme au XIXe siècle, qu'ils doivent semer des graines politiques ici et là dans le judiciaire...

Si tout ça mène vraiment Toews au plus haut tribunal, ce sera la confirmation du processus d'américanisation de la Cour suprême.

Aussi bien dire de sa dégradation.