Ce gars-là est souvent tombé de haut avant de monter sur un podium.

Il est tombé en ski de fond en 2012 et s'est fracturé le péroné. Assez majeur comme blessure quand votre métier, c'est d'être un patineur de vitesse longue piste...

Il s'est remis à l'ouvrage et contre toute attente, il est redevenu un des meilleurs au monde.

Sauf que le jour des qualifications olympiques canadiennes, à 30 m de la ligne d'arrivée, bang, il chute.

Ça ne lui arrive jamais. Mais ce jour-là, il chute.

Denny Morrison, le meilleur Canadien au 1000 m longue piste, était étendu là sur la glace, à regarder bêtement la ligne d'arrivée devant, puis son rêve de médaille écrasé derrière.

Il était tellement prêt. Prêt à prendre sa revanche sur Turin et Vancouver (il vient de Fort St.John, en Colombie-Britannique), où il n'a jamais pu faire mieux qu'une 9e place. Lui qui faisait régulièrement des podiums en championnat du monde.

Exclu de l'épreuve, donc.

Lundi encore, il n'était que «substitut». Pas de chance, personne n'a eu le rhume et personne ne s'est blessé... Tu ne souhaites ça à personne, mais t'sais...

Il se préparait donc pour le 1500 m.

Un texto entre vers 23h: «Es-tu prêt pour le 1000 m mercredi? Prends ma place si tu la veux.»

C'était signé Gilmore Junio, un des quatre sélectionnés. Mais ça venait d'un téléphone russe...

«Hé, si c'est une blague, je la trouve pas drôle...»

Il est parti en courant à la Maison du Canada, pour vérifier en personne. C'était pas une blague. Les mères étaient là, tout le monde s'est embrassé...

«Je me disais: tu n'étais même pas censé être là, relaxe, tu es le gars le plus chanceux du monde... Mais en même temps, j'avais un peu de pression! Personne ne donne jamais sa place aux Jeux olympiques, tu travailles tellement fort pendant des années, tu gardes ta place... Il m'a dit: dude, écrase tout! Je voulais patiner immédiatement, juste là!»

Hier, ce fut l'argent. Sa première médaille individuelle en trois Jeux olympiques. La plus improbable.

Improbable comme une injustice réparée. Improbable comme un beau geste récompensé.

On dira que Junio, spécialiste du 500 m (10e a l'épreuve lundi), n'avait pas grand-chance.

Mais quand on mesure l'incroyable difficulté d'avoir une place à la ligne de départ des Jeux olympiques en patinage de vitesse...

Quand on fait la somme des efforts consentis, on commence à entrevoir la générosité qu'il y a à simplement dire: c'est ma place, j'ai travaillé comme un fou depuis 15 ans pour l'avoir. Prends-la, mon ami, tu me ferais plaisir.

Junio était fier de conclure que «c'est ça, l'esprit olympique canadien» !

Parions un caribou en nickel: nos représentants trouveront que ce geste et ces paroles feraient de Junio un joli porte-drapeau.

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Après la course, les deux coéquipiers n'avaient pas besoin de dire grand-chose. Ils se sont embrassés. Ils ont écrasé quelques larmes.

On fait quoi pour remercier un ami qui vous rouvre la porte olympique verrouillée?

«Je pense à toutes sortes de choses, un voyage... Je ne sais pas. Ça vaut au moins une bière, hein?»

Gilmore Junio est-il ton meilleur ami?

«Avant lundi, non, maintenant, oui! Pas de farce, je suis ami avec tous les gars de l'équipe.»

Y a-t-il eu tordage de bras? «Mon coach me l'a demandé, mais c'est ma décision», a dit Junio après la course, tout sourire.

«Il fallait voir Denny à l'entraînement ces dernières semaines, c'était évident qu'il était là, ça n'a vraiment pas été difficile à faire pour moi. D'habitude, ses départs sont lents, mais là il était avec moi.

«Il me dit qu'il va casser la médaille en deux, mais c'est pas une bonne idée... C'est lui qui a patiné, c'est sa victoire à lui, point.»

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Morrison ne l'a jamais demandé, mais à chaque conférence de presse de l'équipe, il espérait que quelqu'un se lève et dise: «Je profite de l'occasion pour annoncer que je ne ferai pas le 1000 m, je cède ma place à Denny!»

Ça n'arrivait pas. «Même la première journée des Jeux, j'espérais encore... Et rien.»

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Morrison a fait la course de sa vie. Avait-il le choix? La grandeur appelle la grandeur.

L'épreuve est constituée de 20 paires de deux patineurs. Il était en paire avec le médaillé d'or du 500 m, Michel Mulder, meilleur sprinter au monde.

Comme de raison, Mulder est parti devant. «J'étais surpris à 600 m d'être aussi près... Je savais que je finirais plus fort que lui.»

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Et vous, Michel Mulder, vous avez déjà vu ça, céder sa place aux Jeux olympiques?

Le médaillé de bronze a eu beau chercher... non. Le ferait-il? «Les Néerlandais sont tellement forts que tous les qualifiés ont une chance, alors... euh... non!»

Revenir de loin, le médaillé d'or Stefan Groothuis sait ce que c'est, lui aussi. Huitième à Turin, puis quatrième à Vancouver, il est tombé en dépression profonde après les JO. Les journaux en parlaient.

«Au même moment, il m'est arrivé la plus belle chose, plus belle que cette médaille, j'ai eu un enfant, et un autre. Et je suis revenu.»

Que se passe-t-il avec les Néerlandais, au fait? C'est la première course masculine où le podium n'est pas entièrement orange... Seulement deux médailles!

Ah, par contre, notons que l'entraîneur de Morrison est un dénommé Bart Schooten... Devinez d'où il vient? Non, c'est pas un gars de Moose Jaw.