Ah, la voilà enfin, l'explication! Ce ne sont pas ses faux pas personnels qui ont fait partir Michel Arsenault. Ce sont les «requins de la finance et leurs alliés les médias». C'est la faute à cette «droite néolibérale» et antisyndicale, qui s'est acharnée sur lui et la FTQ. C'est la faute aux grands empires médiatiques.

Le discours syndical a ses règles, et le jour du départ involontaire d'un président de centrale est mal choisi pour les réinventer.

Hier, au congrès de la FTQ, il fallait donc s'attendre à ce que le président éjecté vante les mérites de l'action syndicale, défende le Fonds de solidarité et en appelle à la mobilisation.

On ne s'attend pas non plus à ce que la FTQ s'écrase devant le maire de Québec, qui a décidé de faire payer un peu plus aux employés municipaux pour éponger le déficit des caisses de retraite.

Mais ce n'est tout de même pas Régis Labeaume qui était comme cul et chemise avec Tony Accurso. Ce n'est pas Pierre Karl Péladeau qui est allé en bateau avec le plus grand entrepreneur en construction au Québec. C'est Michel Arsenault.

Ce n'est d'ailleurs pas un des «grands empires médiatiques» décriés dans son discours qui nous l'a appris. C'est Radio-Canada, dans l'émission Enquête.

Ce copinage entre entrepreneur et dirigeant syndical est problématique pour une raison très simple. La FTQ-Construction et d'autres, comme l'International, exercent un pouvoir immense sur les chantiers industriels - qu'ils peuvent ouvrir ou fermer à volonté avec le placement. Quand on y ajoute le bras financier, le Fonds de solidarité, qui a investi massivement (et avec grand profit, il est vrai) dans les sociétés de M. Accurso, le conflit d'intérêts devient... industriel.

Tout ça, ce n'est pas Québecor, ni Gesca, ni Cogeco qui l'a inventé. Cela a été magnifiquement exposé dans le rapport du juge Robert Lesage sur le fiasco de la Gaspésia, en 2005.

La Gaspésia est une usine de papier de Chandler que le gouvernement Landry a tenté de relancer en y injectant plus de 200 millions. Après des mois de travaux, le chantier a avorté. La commission Lesage en a examiné les causes.

«Le pouvoir économique exercé par la FTQ, par le truchement du Fonds, ne cherche-t-il pas à réaliser le monopole sur les chantiers de construction au Québec, ce qui est l'objectif avoué de dirigeants de la FTQ-Construction et du Fonds, comme Jean Lavallée?», demandait le juge Lesage.

On ne connaissait pas encore bien «Johnny» Lavallée, celui qui supervisait les comptes de dépenses de Jocelyn Dupuis et qui a signé sa plantureuse indemnité de départ avant de le voir accusé de fraude.

Le juge Lesage décrit très bien le pouvoir de chantage exercé sur les entrepreneurs, le favoritisme exercé envers les entreprises syndiquées FTQ ou soutenues par le Fonds. Cela arrive tous les jours au Québec. Simplement, dans le cas de la Gaspésia, vu le gouffre de fonds publics, on a décidé d'aller y voir...

Bref, je ne sais pas si les «requins de la finance» veulent s'emparer du marché du Fonds, mais les problèmes éthiques et économiques liés au Fonds sont assez bien documentés. Je ne parle pas d'éthique personnelle, je parle de l'éthique politique et économique.

Certes, comme dit Michel Arsenault, la prochaine campagne de recrutement d'adhérents pour le Fonds sera difficile. Mais pas à cause de la commission Charbonneau ou des médias. Parce que le fédéral veut mettre fin au crédit d'impôt de 15% accordé aux investisseurs.

Non seulement les médias n'ont pas été sévères envers le Fonds: ils ont manifesté depuis le début un préjugé favorable, pour ne pas dire une sympathique complaisance.

Malgré tous ses grands mérites, il n'y a aucune raison de ne pas passer au crible de la critique cette institution qui gère 9 milliards, dont une grande partie a été financée par les fonds publics.

S'il veut demeurer crédible, d'ailleurs, le Fonds devra faire plus que de «resserrer les règles de gouvernance», comme il l'a fait en 2009 après la mise au jour de quelques tentatives d'infiltration du crime organisé. Il devra prendre ses distances vis-à-vis de sa mère syndicale.

C'est la faute aux médias, aussi, si tant de syndicalistes avaient la police aux trousses?

La FTQ-Construction sortira amochée de la commission Charbonneau, c'est l'évidence.

Le prochain président de la FTQ a le choix. Faire comme si de rien n'était, blâmer les médias et la droite néolibérale - et se rendre encore plus vulnérable. Ou montrer comment l'intérêt des membres rencontre l'intérêt général du Québec.