Quand un maire n'a plus le droit d'aller voir le défilé du père Noël, faut-il vraiment lui enlever des pouvoirs?

Si c'est Rob Ford, probablement que oui.

Hier, dans ce qui restera comme une des journées les plus burlesques des annales politiques canadiennes, le conseil municipal de Toronto a officiellement transformé son maire en figurine «bobble head» - il en a vendu des centaines, au fait.

Après ce vote écrasant, on a vu Rob Ford entrer furieusement dans son bureau, pourpre et luisant comme aux grands jours, passant devant la haie de journalistes comme un train trop chargé.

Son grand frère Doug, conseiller municipal et dernier allié du maire, est venu voir les journalistes. Il tremblait d'une rage contenue.

«La guerre n'est pas finie, ce n'est qu'un début». Il y aura en effet un recours judiciaire pour contester ce vote. Et des choses beaucoup plus laides encore, fiez-vous sur eux.

Devant le conseil, Rob Ford a parlé d'un «coup d'État». Le public a éclaté de rire.

Puis, dans une métaphore encore plus bizarre, le maire de Toronto a dit que cette scène de dépossession lui rappelait... l'invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990.

«George Bush (père) a averti, averti, averti Saddam... Il n'a pas écouté... Vous pensez que la politique américaine est sale? Vous venez d'attaquer le Koweït!»

C'est vrai qu'il a un petit quelque chose du général Schwartzkopf, à bien y penser.

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On a eu de drôles (et de pas drôles) de maires au Québec, récemment. Mais ce qu'on voit ici cet automne est absolument incomparable.

Pendant les heures de palabres au conseil municipal, on voyait Rob Ford se promener dans les allées pour aller enguirlander des membres du conseil. Ou s'en prendre à des citoyens qui l'insultaient - tout en serrant des mains de quelques fans.

On l'a vu courir vers un conseiller et plaquer accidentellement une conseillère sur son chemin. On l'a vu imiter en gesticulant un conseiller soupçonné d'avoir conduit en état d'ébriété - mais jamais accusé. Façon de dire: j'ai des choses sur toi, attention...

Son frère Doug fait la même chose. Quand le conseiller Raymond Cho, avec une infinie politesse, a dit que son bon ami Rob Ford devait perdre ses pouvoirs faute d'avoir obéi aux autres résolutions du conseil, Doug Ford s'est approché et d'un doigt menaçant lui a souhaité «bonne chance aux prochaines élections».

Ces deux hommes sont des intimidateurs politiques de première.

Dans une autre ligne qui a fait crouler de rire le public, Ford a dit que dans la vie, il y a «les pauvres et les riches», et que lui «prend le parti des pauvres».

On l'a vu à 20h hier soir inaugurer sa nouvelle émission de télévision à Sun News, Ford Nation. Avec son frère, il fait l'apologie de son administration et de sa lutte acharnée contre les «élites».

Pauvre Toronto.

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La stratégie de Ford est transparente: oui, j'ai eu des problèmes, j'ai fait «des erreurs». Mais combien de fois devrai-je présenter mes excuses?

Rob Ford n'a pas «menti», dit son frère: «il n'a pas été honnête concernant sa vie privée.»

Cette affaire est donc «personnelle»: il a «une équipe de professionnels» pour s'occuper de lui. Psychiatres? Acuponcteurs? On ne le sait pas. Mais retenez l'essentiel: c'est l'homme qui a eu des faiblesses, pas le maire! Celui-là continue à faire diminuer les taxes.

Deuxième axe de défense: un conseil municipal n'a pas le droit de «dévoter» un maire dûment élu. Doug Ford a d'ailleurs présenté une résolution pour des élections anticipées à la mairie afin de résoudre la crise.

C'est loin d'être idiot. Il y a ici un vrai problème de légitimité pour le maire adjoint. On peut aussi se demander si, à l'avenir, un conseil majoritaire ne pourrait pas neutraliser un maire d'une tendance politique différente. «Les droits des citoyens électeurs ont été effacés!», dit Doug Ford.

À cela, les conseillers majoritaires répondent que les seuls pouvoirs qui ont été retirés au maire sont ceux que le conseil lui-même lui a donnés au fil des ans - pas ceux prévus dans la loi provinciale sur Toronto.

Un juge dira éventuellement si cette limitation des pouvoirs ne revient pas à suspendre illégalement le maire. L'argument n'est pas sans mérite; le débat, important.

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Il reste que ce maire admet avoir consommé des drogues illégales cette année, avoir été souvent en état d'ébriété avancée, avoir conduit saoul, avoir fréquenté des membres du crime organisé. On allègue en plus qu'il a fait du harcèlement sexuel et il fait présentement l'objet d'une enquête par la police de Toronto. Le conseil lui demande de prendre congé pour régler ses problèmes: il refuse de prendre la moindre journée de repos.

Plus inquiétant: cet homme qui se vante de «retourner tous ses appels» refuse aussi de rencontrer la police de sa ville pour une enquête importante le concernant.

Comment un conseil municipal peut-il laisser faire ça? Ayant refusé de se conformer aux demandes du conseil, doit-il se surprendre d'être devenu une demi-figurine?

Même le bureau de Stephen Harper a finalement qualifié hier de «troublantes» les révélations concernant Ford - mais tout en rappelant que «Justin Trudeau aussi» a consommé des drogues illégales après avoir été élu.

Ford a perdu 60% du budget de son cabinet. Il ne pourra représenter la ville. Ni faire des nominations. Il devient le conseiller Rob Ford, en plus glorifié.

La guerre est ouverte, donc. La question est de savoir si la police ne viendra pas le chercher avant qu'il ait libéré son Koweït intérieur...

Pour joindre notre chroniqueur : yves.boisvert@lapresse.ca