À partir du moment où il a échoué à bloquer la diffusion de l'écoute électronique, les jours de Michel Arsenault à la FTQ étaient comptés.

Il ne participe à aucun complot criminel. On voit même qu'il bloque un projet quand il constate que la mafia est impliquée.

Mais jour après jour, on voit qu'il a fermé les yeux sur les abus à la FTQ-Construction. Et, plus grave encore, on voit exposés les liens incestueux de la FTQ et du Fonds de solidarité. On voit comment il a accepté de piloter des dossiers, même ceux du très douteux Jocelyn Dupuis.

La FTQ est une fédération. Chaque syndicat est comme une baronnie dans un royaume. Le roi Arsenault a besoin de l'appui des barons. Mais il ne peut pas et ne veut pas trop se mêler de leurs affaires.

«J'ai pas avantage à m'ingérer, dit Arsenault à son conseiller, en parlant de la FTQ-Construction. On va repousser ça sur eux autres. Si on a un affilié tout croche, pourquoi je prendrais ça sur mes épaules?»

Voilà qui résume tout: le croche, ce n'est pas lui. Mais le nettoyeur, ce n'est pas lui non plus.

Quand, en 2008, le syndicaliste Ken Pereira arrive avec les notes de frais délirantes (et criminelles, d'après la police) de Jocelyn Dupuis, Michel Arsenault ne l'accueille pas en héros. Au contraire! Ce Pereira l'oblige à prendre une décision qu'il ne veut pas prendre, c'est-à-dire faire la discipline dans ce qui a toujours été le pire syndicat de la FTQ: la FTQ-Construction.

Pas étonnant que lui et son conseiller rêvent de voir Pereira partir aux îles Moukmouk. C'est par lui que les malheurs arrivent...

Les écoutes ne sont pas toutes défavorables à Michel Arsenault. Il n'est pas question pour lui de transiger avec des criminels comme Domenico Arcuri ou Raynald Desjardins, c'est très clair. Arsenault ne fréquente pas ces gens-là. Ce qui est clair, par contre, c'est que: 1) il joue un jeu politique pour ne pas se mettre à dos Dupuis, même après le scandale des notes de frais; et 2) il se mêle de pousser des dossiers au Fonds de solidarité.

Même après avoir été informé du fait que Dupuis dépensait plus de 125 000$ par année au restaurant, il continue à traiter normalement avec lui. Dupuis va même toucher une indemnité de départ de 140 000$, en septembre 2009, avant d'être accusé au criminel.

Michel Arsenault continue pendant l'automne 2008 à discuter du dossier de la société Carboneutre, pour laquelle Dupuis tente d'obtenir un financement du Fonds. À ce moment, Arsenault ne sait pas encore que c'est la mafia qui a pris le contrôle de l'entreprise. Mais il connaît bien Dupuis, par contre!

On comprend des conversations que Michel Arsenault croit au procédé technologique révolutionnaire de Carboneutre, et avec raison.

Le problème est double, toutefois: la moralité de Dupuis à ce moment-là est déjà douteuse. Et surtout: un président de conseil d'administration n'a pas d'affaire à se mêler de dossiers particuliers.

La Commission va passer encore quelques semaines à nous faire écouter des conversations de la FTQ. La pression n'ira pas en diminuant.

Du temps de la commission Cliche sur l'industrie de la construction, dans les années 70, il a fallu mettre un syndicat en tutelle et on a vu à quel point les pratiques criminelles avaient pénétré la FTQ-Construction.

La crise aujourd'hui est néanmoins plus grave parce qu'elle parle moins de la violence du milieu que des méthodes mafieuses d'infiltration de l'économie légale. Et, paradoxalement, le succès extraordinaire du Fonds de solidarité aggrave la situation.

Le Fonds a un actif de 9,3 milliards et fait face à une série de défis majeurs: suppression des crédits d'impôt fédéral; possibilité de retrait massif des fonds par les baby-boomers; difficulté à attirer de nouveaux investisseurs.

Personne n'est rassuré de voir le président de la FTQ jouer dans la «machine à saucisses», surtout avec des Jocelyn Dupuis. Difficile de penser que ce genre de manoeuvre n'a fonctionné qu'avec Dupuis.

Il faudrait ressortir le rapport du juge Lesage sur le scandale de la Gaspésia (2005). Il n'était pas du tout question de crime organisé. Mais on voyait comment l'union sacrée de la FTQ et du Fonds, le placement syndical et la complaisance politique ont faut foirer un projet de développement économique... et fait perdre plus de 200 millions aux Québécois.

Michel Arsenault n'avait pas le choix de partir. Avec ce qu'on apprend sur la FTQ-Construction, l'idée d'une tutelle n'est plus farfelue. Il faut maintenant quelqu'un pour mettre un peu d'ordre dans les baronnies déviantes de la plus grande centrale syndicale au Québec. Et pour rasseoir la crédibilité d'un Fonds maintenant important dans l'économie québécoise. Un Fonds qui doit se séparer un peu plus de sa mère syndicale...