On n'a toujours pas le texte, mais l'intention est claire: le gouvernement Marois veut manufacturer une crise sur le thème de l'identité.

La dernière, en 2007, a bénéficié à l'ancien parti de Mario Dumont: en jouant sur la pseudo-crise des «accommodements raisonnables», il a relégué le Parti québécois (PQ) au troisième rang à l'Assemblée nationale. Quelques-uns, dont Jean-François Lisée, ont juré que ça n'arriverait plus au PQ.

La crise a donné la commission Bouchard-Taylor. Après avoir entendu des centaines de personnes, commandé des dizaines d'études et délibéré avec toutes les espèces d'experts, qu'ont dit les deux sages en 2008?

Ils ont dit que dans la vraie vie de tous les jours, sur le terrain, malgré quelques accrochages, il n'y a pas de crise: «Les fondements de la vie collective au Québec sont loin de se trouver dans une situation critique.»

La seule crise, c'est celle des perceptions. L'impression, répandue par des médias, qu'on répond avec trop de tolérance aux moindres caprices des minorités ethniques ou religieuses. Et qui n'est que ça: une impression créée par l'amplification de quelques anecdotes.

Il est assez comique, donc, d'entendre le ministre Bernard Drainville reprocher à l'ancien gouvernement de n'avoir «rien fait» après ce rapport.

Bouchard-Taylor proposait de mieux définir la «laïcité", certes, mais prenait position exactement contre ce qui ressemble au projet du gouvernement: «Nous ne croyons pas toutefois que l'adoption d'une disposition ou d'un mécanisme juridique, tels un article ou une clause interprétative dans une charte, soit la meilleure façon de répondre à cette demande de repères.»

Le danger d'une interdiction des signes religieux de tout espace plus ou moins étatique, après des années d'acceptation, c'est évidemment le message d'exclusion que rien ne justifie.

Il y a danger, disait Bouchard-Taylor, de «retourner contre l'ensemble des religions le sentiment d'hostilité hérité du passé catholique».

Un rapport qui n'était pas pour plaire aux puristes catho-laïques, bien entendu. Il y était question de compromis, de modération, de négociation, d'équilibre, de confiance en l'avenir, de la capacité des gens de trouver eux-mêmes des solutions dans leur milieu...

Pauline Marois avait ridiculisé ce rapport, pourtant très bien fait. Déjà, il devenait clair que le PQ allait se réapproprier le territoire de l'identité.

Que va-t-il arriver maintenant? Si le PQ présente vraiment une charte qui nous isolerait juridiquement d'à peu près toutes les démocraties constitutionnelles, elle ne sera probablement pas adoptée. Mais le débat autour d'elle suffira à camper le parti pour l'avenir électoral.

Si, par contre, on trouvait le moyen d'interdire les signes religieux pour les employés de l'État, on générerait immédiatement des contestations judiciaires. Oh, la belle crise!

Ce serait excellent pour Julius Grey et pour le PQ: les tribunaux, si l'on se fie à la jurisprudence, jugeront ces interdictions inconstitutionnelles. Les dossiers seront portés en appel. Et à la fin, on pourra dire que la Charte canadienne et la Cour suprême du Canada, enfin bref les Anglais, empêchent le Québec d'affirmer son "identité".

L'aubaine! Amenez-en, des turbans!

Toute la tradition juridique et sociale nord-américaine permet le port des signes religieux par les employés de l'État, à quelques variantes près. La manifestation des croyances n'est interdite que quand elle trouble l'ordre public ou la sécurité. Bouchard-Taylor suggérait de les interdire pour les employés de l'État qui «incarnent au plus haut point la nécessaire neutralité de l'État», comme les juges, le président de l'Assemblée nationale, les procureurs de l'État, les gardiens de prison, etc.

Autrement, à quel problème voudrait-on s'attaquer en interdisant à un fonctionnaire municipal de porter la kippa juive, ou à une technicienne en laboratoire de porter un foulard?

Il est un principe sacré, à ce que je sache, dans les démocraties constitutionnelles, c'est celui de la liberté. Liberté de pensée, liberté d'expression notamment. Elle n'est pas absolue. Mais quand l'État entend limiter la liberté des individus de manifester leurs croyances profondes, il doit en démontrer la nécessité.

J'ai bien hâte d'entendre cette démonstration. Il sera question d'égalité des sexes, d'après les entrevues du ministre. Comme si ce principe, écrit, réécrit, enchâssé, appliqué, était en péril.

J'ai hâte également de voir sur quels fondements juridiques on entend s'appuyer - quelle doctrine, quels textes, quels jugements...

Le respect des droits et libertés et des minorités, ça aussi, c'est une «valeur québécoise».

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