Rodolphe Morissette, qui a été mon maître et celui de plein d'autres, est mort vendredi à l'âge de 72 ans.

- Maître? Mais ne travaillait-il pas pour Le Journal de Montréal?, s'est étonné un jeune collègue hier.

Eh oui. Dans ce temps-là, pas si loin, aucun journaliste n'avait le sentiment de travailler pour un empire commercial. La salle de presse du palais de justice de Montréal était une sorte de confrérie brouillonne où l'on tentait de se «scooper» à la régulière, certes, mais où il fallait partager l'information.

Rodolphe Morissette donnait un cours de palais 101 à chaque nouveau journaliste venu, quel que soit son média. Il nous a tous initiés aux méandres de cet univers rébarbatif, où tout est public jusqu'à ce qu'un journaliste veuille l'apprendre...

Cela en dit autant sur sa générosité que sur l'idée qu'il se faisait du journalisme: un service public, pas un «contenu» commercialisable.

On lui doit d'avoir sorti la chronique judiciaire des colonnes des «chiens écrasés», en expliquant son importance fondamentale en démocratie. Le journaliste judiciaire se voit assigner non seulement le rôle de raconter les procès, mais également d'être témoin et surveillant de cette mystérieuse branche de l'État - ses règles, ses lenteurs, ses succès, ses errements.

Il a même écrit un traité sur la presse et les tribunaux: toujours cette idée de transmettre, de redonner. Comme il a légué aux suivants ses piles de scrapbooks où étaient indexés des milliers de textes.

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Il a passé 25 ans au palais de justice à se heurter à la formidable résistance au changement du milieu de la justice et à sa crainte-panique des médias. Si la justice est plus transparente maintenant, c'est en partie grâce à lui.

«Twitter banni des tribunaux québécois», a dit la nouvelle hier. Les sujets changent, les réflexes demeurent...

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Les journées du chroniqueur judiciaire sont chargées de crimes et finissent tard.

Quand il avait envoyé son quatrième papier pour Le Journal de Montréal, Rodolphe allait se distraire en lisant Platon dans le texte.

Il a traduit et commenté toute l'oeuvre du philosophe, dans des pages qui emplissent un mur de bibliothèque.

Pourquoi? Pour qui?

Pour lui. Il le faisait... pour le faire. Il fabriquait en secret des réflexions philosophiques comme d'autres font des mouches pour la pêche. Un travail d'orfèvre en solitaire. Peut-être prendront-ils une truite avec leur mouche. Peut-être pas. Peu importe. Le monde se trouve un peu plus beau de cet ouvrage. Ou un peu plus intelligent dans le cas de Rodolphe.

Il n'y a pas eu beaucoup de docteurs en philologie dans les rangs de la fédération des journalistes, et je crains qu'il n'y en ait plus jamais...

Rodolphe Morissette était de ces érudits comme n'en fabrique plus guère l'Occident. Gens de haute et profonde culture, qui dialoguaient en tête à tête avec l'Antiquité, en ayant les pieds bien plantés dans leur siècle. Une sorte de jésuite très discret égaré chez les journalistes. N'allez pas penser qu'il nous abreuvait de citations de Platon. Ce n'est qu'au terme d'interrogatoires serrés que ce pince-sans-rire avouait ses loisirs intellectuels.

Après Platon, il s'est mis en tête de relever systématiquement... les métaphores dans l'oeuvre de Mordecai Richler. Comme pour comprendre les secrets de son style et la mécanique de sa drôlerie.

Je comparais souvent nos textes quand nous écrivions sur le même procès. Je ne manquais jamais d'être émerveillé (et un peu humilié) par sa capacité de dire plus en deux fois moins de mots, en allant directement au noyau dur du sujet.

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Au cours des dernières années, il était très affaibli. «Je ne peux plus me concentrer sur des ouvrages sérieux, tout ce que j'ai pu lire, c'est une biographie de Churchill», m'a-t-il dit en décembre, comme s'il parlait d'une bande dessinée pour enfants...

C'était, oui, notre maître. C'était surtout un humaniste qui a amélioré la profession, et le monde autour de lui.

Il avait ouvert son livre sur les juges par une citation de Montaigne: «Toute magistrature, comme tout art, jette sa fin hors d'elle-même.» Il aurait pu ajouter: tout journalisme, aussi.

Il laisse dans le deuil sa femme, Nicole, ses enfants Katerine et François, et plein de gens du métier.

Pour joindre notre chroniqueur : yboisvert@lapresse.ca