J'imagine être le recteur d'une des plus grandes universités au monde et m'en aller comparaître cet hiver devant Léo Bureau-Blouin au «Sommet sur l'éducation».

Ça donne le goût, y'a pas à dire.

Aussi sympathique et brillant que soit ce cégépien diplômé, c'était il y a six mois un des acteurs principaux du conflit étudiant. Comment peut-il aujourd'hui, si rapidement, jouer le rôle d'arbitre entre les différents acteurs?

Quand la première ministre Marois a annoncé officiellement ce sommet, la semaine dernière, elle était flanquée du ministre de l'Éducation supérieure, Pierre Duchesne, et de son conseiller en matière de jeunesse, M. Bureau-Blouin.

On nous dira qu'il était un modéré, qu'il ne prônait pas la gratuité et qu'il a été dûment élu député de Laval-des-Rapides. Sans doute.

Il n'en demeure pas moins qu'il a fait cause commune et stratégique avec la CLASSE et qu'il s'en est pris non seulement au gouvernement Charest, mais aussi aux universités.

Au mois d'avril, il a déclaré que «les universités n'ont pas la légitimité d'exiger une nouvelle hausse des droits de scolarité quand on constate l'ampleur de la mauvaise gestion. Il est plus que temps que l'on serre la vis aux directions universitaires afin de s'assurer que l'argent du public et des étudiants soit bien géré».

Il semble qu'il ait donc déjà conclu à une mauvaise gestion caractérisée dans nos universités, où il y aurait facilement 300 millions à récupérer. Notamment en diminuant le salaire des recteurs.

Le ministre Duchesne, même s'il fait bien attention de ne pas se prononcer à l'avance, met néanmoins en doute la question du «sous-financement» des universités québécoises. Il demande à être convaincu.

Le fardeau de la preuve sera donc sur les épaules des recteurs.

Rien n'étant parfait en ce bas monde, il y a sûrement quelque gestion déficiente ici et là. On a vu des exemples d'expansion des universités très critiquables en dehors de leur territoire naturel. Mais il faudrait être magicien pour faire apparaître des centaines de millions dans un réseau où la plus grande partie des coûts sont fixes: dépenses en salaire et en entretien.

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Quel est-il, au juste, ce «sous-financement»? C'est l'écart entre les revenus des universités québécoises et de celles du reste du Canada. Quand le gouvernement fédéral a réduit son financement des universités, les autres provinces ont compensé la baisse par une augmentation des droits de scolarité. Le gouvernement (péquiste) du Québec a augmenté les versements, mais pas suffisamment pour maintenir la comparaison avec les autres provinces. Les droits de scolarité, pendant ce temps, étaient gelés, pas même indexés.

En 2010, déjà, la Conférence des recteurs évaluait à 620 millions le sous-financement des universités québécoises par rapport à celles du reste du Canada.

Ces chiffres sont maintenant contredits par une étude qui affirme que les universités québécoises reçoivent plus que les autres, par étudiant. C'est vrai... mais seulement si on inclut les fonds de recherche. En effet, les chercheurs québécois reçoivent plus, en moyenne. Mais cet argent est reçu pour des programmes de recherche, pas pour chauffer les immeubles ou entretenir les laboratoires. L'ancien recteur de l'Université de Montréal Robert Lacroix souligne même que la performance en recherche des professeurs entraîne des coûts supplémentaires pour les universités.

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On comprend bien le problème du gouvernement Marois. Il est mathématique. Le gel des droits est maintenu; les améliorations substantielles annoncées pour compenser la hausse (annulée) des droits sont maintenues; l'État québécois n'a pas les moyens d'augmenter les versements aux universités... Mieux vaut décréter qu'elles ont assez d'argent!

Alors même si on nous assure que le gouvernement est prêt à «écouter l'ensemble des scénarios», les dés sont pipés. Ce sommet ne sera rien d'autre qu'un procès des recteurs.

Oh, remarquez bien, on ne fermera pas d'universités. On aura seulement mis les grandes universités francophones d'Amérique dans une position de moins en moins concurrentielle.

Pour leur donner moins d'argent, il faudra commencer par les dénigrer. Ensuite, on institutionnalisera joyeusement le sous-financement qu'on aura nié. Comme si, au Québec, on devait se contenter de moins. Comme si la relative médiocrité qui en découlera était sans conséquence pour notre société.

Le nationalisme devrait pourtant animer la volonté de faire ici, en français, de la science et de l'enseignement supérieur qui demeurent de la plus haute qualité. Cela devrait être notre obsession.

Au lieu de ça, pour ne pas hausser les droits de scolarité, on accusera les universités.

Triste spectacle en perspective.