C'est bien de savoir des choses. Mais il n'y a rien comme les voir.

Les photos et les vidéos déposées hier à la commission Charbonneau sont l'équivalent de l'écoute électronique du crime organisé lors de la Commission d'enquête sur le crime organisé (CECO), dans les années 70. On pouvait entendre des conversations entre caïds, pénétrer comme jamais dans les coulisses du crime organisé.

Les photos et les vidéos d'hier ont le même impact, immédiat et ravageur.

Elles nous montrent ce qu'on pensait savoir, ce qu'on nous avait raconté 1000 fois: l'imbrication très intime de la mafia et d'un certain milieu de la construction.

Entre toutes, je retiens la scène la plus extraordinaire, une photo qui raconte d'un coup ce que Jacques Duchesneau, des experts et des journalistes ont tenté de nous expliquer en 100 000 mots.

À la grande table du conseil de Construction F. Catania, le parrain de la mafia trône joyeusement. Le fondateur, Frank Catania, est à ses côtés. D'autres compères sont attablés.

Nick Rizzuto salue de la main. Derrière lui, on peut voir bien en évidence des plans de terrains. Des cartes routières. Des croquis des immeubles de F. Catania.

Les joues sont roses, le vin est pourpre, l'avenir est brillant, la vie est belle.

Le parrain sourit. Les affaires ont l'air bonnes.

C'était l'époque où, quand La Presse écrivait sur des passes de terrain un peu louches au Faubourg Contrecoeur, M. Catania faisait écrire des mises en demeure outrées signées d'avocats d'un grand bureau de Montréal. Comment osait-on porter atteinte à sa réputation?

C'était avant qu'on voie, en Cour, le parrain de la mafia cacher des liasses de billets de banque dans ses chaussettes sous l'oeil bienveillant du même Catania, venu prendre un café avec lui au Consenza.

La photo à la table du Conseil a été saisie par la police l'an dernier à l'occasion d'une perquisition chez Catania. Ce n'est pas la preuve d'un crime. Simplement l'évidence d'un lien intime entre Rizzuto et le père Catania.

Ce n'est plus seulement Catania qui rend visite au vieux Rizzuto dans son café. C'est le parrain qui se rend au siège social d'une des plus importantes firmes de construction de la région, et qui trinque aux travaux à venir.

Depuis, Frank Catania a pris sa retraite, Nick Rizzuto a été emprisonné, puis assassiné, et Paolo Catania, neveu de l'autre et nouveau président de F. Catania, a été accusé de fraude et de complot avec l'ex-numéro deux de la Ville, Frank Zampino.

Pendant de longues minutes, la Commission a pu visionner hier des images aussi fascinantes qu'ennuyantes d'un party de Noël mafieux.

On y voit des chefs de la mafia embrasser des entrepreneurs en construction. On voit certains constructeurs apporter leur dû aux chefs mafieux.

Quel argent? Quelles sommes? Pour quelle raison exactement? La vidéo ne le raconte pas. Ces vidéos, d'ailleurs, n'étaient d'aucun intérêt pour l'enquête criminelle Colisée (2005-2006): on visait le trafic de stupéfiants et le jeu illégal. Heureusement, après une bagarre judiciaire un peu ridicule, la Gendarmerie royale du Canada a accepté de remettre ces vidéos à la Commission.

On voit donc comment ces deux mondes se côtoient et se mêlent: le crime organisé italien et certains gros entrepreneurs très présents à Montréal et dans les environs.

Jusqu'à quel point ne sont-ils qu'une seule et même entité, ça, la Commission est censée nous le dire.

Elle nous le dira en convoquant à la barre des entrepreneurs, de gré ou de force, pour qu'ils expliquent ce qu'ils faisaient au quartier général de la mafia montréalaise. Pourquoi ils remettaient de l'argent. Pourquoi ils embrassaient des chefs du crime organisé et avaient des discussions privées avec eux.

L'un d'eux, Lino Zambito, arrêté pour son implication dans l'affaire de Boisbriand, est attendu aujourd'hui. Comme il est accusé devant la cour criminelle, il se peut que son témoignage soit frappé d'une ordonnance temporaire de non-publication.

Mais voilà le genre de témoin qu'on attend: des gens à qui on peut poser des questions sur la collusion, la corruption, le crime organisé et le financement politique.

Tout ce qui, dans un certain milieu de la construction, s'appelle simplement «les affaires».

La Commission vient de commencer.