Après le chef de Scotland Yard et le responsable du carburant de la flamme olympique, c'est probablement Normand Boivin qui a le job le plus stressant à Londres ces jours-ci.

Le Montréalais de 50 ans est depuis un an chef de l'exploitation de l'aéroport de Heathrow. En temps normal, avec 70 millions de passagers par année, c'est déjà le troisième aéroport du monde, après Pékin et Atlanta (il y en a 14 millions à Montréal).

Cette semaine, c'est le plus achalandé du monde. Il y a transité 120 000 personnes chaque jour, du jamais vu.

Mais le n¿ 2 de Heathrow m'attend à la sortie de douanes avec l'air du gars qui gère l'aéroport de Mont-Joli.

«C'est pas vraiment compliqué, un aéroport; il faut que ça roule.»

Vu ainsi, en effet...

«Le secret, c'est la planification. Depuis des mois, on a des plans A, B, C, D, E, F... Qu'est-ce qu'on fait si la salle des bagages ne fonctionne plus? Si un système informatique plante? Il faut se préparer au pire.»

On pense évidemment au terrorisme. Mais ce n'est pas le principal souci de Normand Boivin. Ou plutôt, les Jeux olympiques n'y changent pas grand-chose: «Londres est une cible permanente en tout temps, il y a déjà ici un niveau de tension et de vigilance élevé 365 jours par année.»

Ce qui est moins habituel, c'est que 1100 armes à feu entrent dans l'aéroport pour les compétitions de tir. «C'est plus en quelques jours que dans une année complète!»

Les athlètes ne se promènent pas avec leur carabine en bandoulière. Ils doivent suivre la procédure complexe, des douanes à l'enregistrement auprès de la police.

«On s'est fait un plan, puis on a simulé une arrivée massive de 400 armes en une heure pour voir si notre plan fonctionnait, voir ce qui devait être ajusté.» En mai, lors d'une compétition de qualification, 1300 armes ont transité. Et puis? «Ça fonctionne!»

«Autre exemple: les fauteuils roulants. Dans un vol ordinaire, on voit parfois un passager, des fois deux en chaise roulante. On demande au passager handicapé d'attendre que l'avion soit évacué pour ne pas retarder la sortie des passagers.

«On calcule deux à trois minutes pour une chaise; mais si c'est une délégation paralympique, avec 20 ou 25 athlètes en fauteuil roulant? Il faut qu'on apporte la bonne chaise à la bonne personne. Ça a l'air de rien, mais chaque minute, 1,2 avion atterrit ici. Chaque avion retardé crée des problèmes en chaîne. On fonctionne à 97% de notre capacité, on n'a aucune marge d'erreur. Si le ciel est trop mauvais pendant 15 minutes, j'ai 20 avions à replacer. Il faut que ça roule...»

Le 13 août, lendemain de la cérémonie de clôture, sera la journée la plus occupée de l'histoire de l'aéroport. Comment gérer cette marée humaine?

«Le problème, ce jour-là, ce ne sera pas les passagers. C'est les bagages.»

Les athlètes ne voyagent pas avec une petite valise. Ils vont en avoir 5, 6 ou 7, avec des paires de souliers de rechange, des pince-nez, bref, tout l'attirail précieux du sportif d'élite, plus les souvenirs, etc. Et ils partent tous en même temps. Donc, on aura deux fois plus de bagages par personne en moyenne. Est-ce qu'on est capables d'imprimer des dizaines de milliers d'étiquettes à bagage? Classer tout ça? On ne l'a jamais fait. On l'a simulé. On est capables. On va installer une salle de bagages au village olympique 24 heures d'avance. On a aussi construit tout un terminal temporaire pour les athlètes. Toute l'opération olympique nous coûte 20 millions.»

Ce n'est pas grand-chose sur un chiffre d'affaires de 1,3 milliard. La British Airport Authority, qui est propriétaire de l'aéroport, a d'ailleurs annoncé son premier dividende il y a deux mois (la Caisse de dépôt est actionnaire minoritaire du conglomérat espagnol qui détient BAA).

Le Québécois qui n'a pas la langue dans sa poche est aussi allé rencontrer personnellement trois ministres britanniques - Transports, Intérieur, Sports. «Je suis allé les shaker un p'tit peu! Qu'est-ce qu'on fait si l'espace aérien est congestionné? On est une entreprise privée, mais on rend un service éminemment public, on sert l'économie du pays. Ils ont réagi. Les politiciens ici ne sont pas différents des nôtres.» Ce n'est pas dit sur le ton de l'admiration.

«Un aéroport, c'est une business d'émotions. Les gens sont anxieux. Leur patience est limitée. Avant même de penser à être agréable, il faut juste éviter de donner des raisons de critiquer. Personne ne vient ici pour l'aéroport. Si les gens oublient leur passage, c'est parfait.»

Normand Boivin me raconte tout ça en souriant, en sirotant tranquillement un americano dans un café de l'aéroport, sans le moindre signe de stress. «Ça ne m'énerve pas, on est prêts. Si un tuyau pète, j'ai déjà les pièces de remplacement. Bon, un tremblement de terre, je ne peux rien faire, mais je ne serai pas le seul...»

Eh! M. Boivin, les douaniers ont annoncé une grève pour demain (annulée depuis)!

«Pas grave. Ça fonctionne bien mieux quand les douaniers sont en grève! Il n'y a pas de loi anti-scabs ici. Le gouvernement a formé des centaines de fonctionnaires du Home Office qui travaillent dans les tours en ville. Tous les grévistes seront remplacés et les remplaçants sont de bonne humeur!»

Ne le cherchez pas dans une loge pendant les compétitions. «Je serai à l'aéroport tous les jours. Le coach ne s'absente pas un septième match de série de la Coupe Stanley... J'ai hâte que les Jeux commencent, les gens vont moins s'intéresser à nous!»